Off d'Avignon annulé : "le danger, c’est de s’habituer à une vie sans théâtre", pour le metteur en scène Jean-Philippe Daguerre
Metteur en scène, acteur et directeur de la compagnie Le Grenier de Babouchka, Jean-Philippe Daguerre est un habitué du Off d’Avignon. Après l’annulation du festival, l’artiste redoute la désertification des salles de spectacle. Nous l'avons interrogé à distance.
Après le In, le Off d’Avignon est annulé. Sa programmation compte chaque année plus de 1500 spectacles répartis sur 200 scènes. Pour les compagnies de théâtre qui ne pourront pas assurer leurs représentations, c’est une véritable catastrophe économique. Le metteur en scène Jean-Philippe Daguerre devait présenter cette année cinq spectacles au cours du festival. Sa principale inquiétude : que les théâtres restent vides, même après leur réouverture.
C’est psychologiquement très dur. J’ai un rapport affectif extrêmement puissant avec Avignon
Jean-Philippe DaguerreLe Grenier de Babouchka
France Info : Comment avez-vous réagi à l’annulation du Off ?
Jean-Philippe Daguerre : Même si on s’y préparait depuis plusieurs semaines, c’est psychologiquement très dur. J’ai un rapport affectif extrêmement puissant avec Avignon. Il y a ce mélange de centaines d’artistes, de spectateurs venus de l’autre bout de la France et du monde, dans cette Cité des papes… C’est toujours un moment très fort. Et puis c’est là-bas qu’est né le premier succès de metteur en scène de ma vie avec Cyrano de Bergerac.
Que deviez-vous proposer au Off 2020 ?
Cette année, nous avions cinq spectacles prévus, dont trois nouveaux projets : Don Juan, Les Trois Mousquetaires et une pièce que j’ai écrite, Le Petit Coiffeur. Cinq spectacles, c’est énorme. Nous y allions avec beaucoup d’ambition.
Comment votre compagnie Le Grenier de Babouchka va-t-elle faire face économiquement ?
Toutes les compagnies construisent leur avenir sur les ventes réalisées à Avignon. Le festival est un carrefour des spectateurs et des programmateurs. Donc économiquement c’est très grave pour nous tous. Le problème que nous allons avoir, c’est d’abord de pouvoir avancer l’argent du chômage partiel à nos soixante comédiens, avant que l’Etat ne puisse débloquer les fonds. Nous allons comme beaucoup d’autres compagnies nous adresser aux banques pour demander un emprunt à taux zéro.
L’avenir de vos spectacles est-t-il menacé ?
Dans ce malheur, la grande chance du Grenier de Babouchka, c’est d’avoir des perspectives. Ma création, Le Petit coiffeur, sera jouée à Paris à partir du 8 octobre au théâtre Rive Gauche. Nous avons déjà répété les deux tiers de la pièce, les décors sont fabriqués, les costumes sont presque prêts.
Tout ce travail n’a pas été fait pour rien. C’est une chance incroyable par rapport à d’autres compagnies qui malheureusement, se sont engagées dans des frais énormes et qui pour le moment, n’ont pas de visibilité quant à l’avenir de leurs spectacles. Pour ce qui est des prochaines saisons, nous allons entrer dans un entonnoir un peu compliqué, car les spectacles joués cette année vont bloquer les créations qui étaient prévues pour l’année d’après. Il va falloir vendre les nouveaux spectacles mais pour les vendre, il faut de la visibilité. Et c’est souvent à Avignon que cette visibilité existe et nous permet de perdurer.
Qu’est-ce qui vous inquiète le plus ?
Là où il faut qu’on soit très vigilants, c’est sur le temps qu’il va falloir pour amener les gens à retourner dans les salles de spectacles, dans des lieux confinés. Le danger depuis la grève des transports et encore plus depuis la crise du coronavirus, c’est de s’habituer à une vie sans théâtre. Les spectateurs ont désormais une vie devant la télévision qui prend beaucoup de place. Mais le théâtre est très dépendant de l’évolution de l’épidémie. Pourtant la France est le pays qui compte le plus de spectacles et de théâtres au monde. Le seul qui permet l’intermittence, la reconnaissance professionnelle de l’artiste interprète. J’espère que les institutions et les médias vont inciter les gens à avoir envie de sortir, d’être vivants avec nous…
Il faut rappeler aux gens à quel point le théâtre est un vecteur émotionnel qui n’a pas de comparatif
Jean-Philippe DaguerreLe Grenier de Babouchka
Quelle est votre vision de l’avenir pour le théâtre ?
L'optimisme est possible. Il faut travailler sur les peurs. Il faut rappeler aux gens à quel point le théâtre est un vecteur émotionnel qui n’a pas de comparatif. Après la première guerre mondiale, il y a eu énormément de morts dans les guerres de tranchées en France, puis plus de 350 000 morts de la grippe espagnole. Mais le peuple s’est relevé. Et il y a toujours eu du théâtre. Il va falloir faire de très beaux spectacles pour que les gens se disent : ça valait le coup de sortir.
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