Off d'Avignon : on court voir l'adaptation du "Retour à Reims" de Didier Eribon
Une table de cuisine en formica jaune, une boite en métal d’où s’échappent de vieilles photos, la famille de Didier Eribon.
Eribon est de retour à Reims après la mort de son père, dans ce milieu où il n’était pas venu depuis si longtemps et où la mère semble ne pas avoir bougé depuis le départ de son fils.
D’un côté, une vie ouvrière immuable, une vie de province petite, besogneuse, minable, de l’autre cet homme qui a fait sa vie ailleurs, très loin de ce déterminisme sociale qu’il a tout de suite rejeté, lui l’intellectuel, l’homosexuel, le polémiste parisien.
C’est tout cela qu’il va expliquer à sa mère, cette femme qui n’a toujours pas compris le départ de son fils. Et c’est aussi l’histoire émouvante de liens retissés, d’une filiation charnelle retrouvée, maintenant que le père est mort avec sa violence, son incompréhension radicale face à ce fils qu’il sentait si différent.
Laurent Hata, dans son adaptation, joue habilement sur plusieurs plans : les personnages s’adressent tantôt à un public témoin, tantôt ils cherchent entre eux le dialogue. Le passé se mêle au présent.
Hatat, qui signe également la mise en scène, dirige subtilement l’excellente Sylvie Debrun, forte présence à la fois brutale et sèche avec d’émouvants moments de désarrois.
Antoine Mathieu joue tout en sobriété et finesse ce fils révolté, qui ne peut en vouloir complètement à sa mère de ne pas avoir échappé à son destin.
Vers la fin de la pièce au moment où l’on croit à une réconciliation, il y a cette découverte si troublante, conforme au livre : la famille communiste depuis tant de générations vote désormais Front National.
Ce qui n’était qu’une théorie expliquée par les politologues, Eribon la vit dans son intimité familiale. Il la comprend, il l’excuse presque. Le spectacle passe ainsi sensiblement de l’intime à l’universel, nous laisssant terriblement songeur dans la touffeur avignonnaise.
L’interview de Laurent Hatat
Culturebox : Comment vous est venue l’idée d’adapter cet essai sociologique et philosophique ?
Laurent Hatat : Assez rapidement en fait, à la lecture. Parce que je le lisais en ayant en tête la possibilité éventuellement d’en faire du théâtre. J’avais déjà pas mal travaillé sur des adaptations de textes qui ne sont pas destinés au théâtre ("HHhH" de Laurent Binet, "Nanine" de Voltaire), j’avais aussi travaillé sur des adaptations de textes sociologiques pour des lectures.
Tout de suite en lisant le livre de Didier Eribon, il y avait tellement un chemin intime, une nécessité de dire la vérité, un aveu qui peut se construire avec l’émotion. Je me suis dis qu’il y avait une piste. Le projet s’est monté rapidement cette saison.
Quelle a été la réaction de Didier Eribon ?
Je lui envoyé un mail. Il m’a dit « quelle drôle d’idée. Moi je veux bien, Chacun fait ce qu’il veut avec mes textes, mais je n’imagine pas que l’on puisse faire du théâtre avec ça ». Je lui ai dit que c’était ma partie. Je lui ai proposé de me laisser faire et de lui envoyer ma version adaptée. Et là, il me donnerait son accord définitif. Je voulais que ce qu’il défend dans le livre soit représentatif dans le spectacle. J’avais besoin de sa relecture. Quand on lui a lu le texte avec les comédiens, il a trouvé ça très émouvant.
Il est venu voir la pièce ici à Avignon ?
Didier a pleuré… Il n’avait pas bien compris le personnage de la mère au départ, qui ne parlait pas comme la sienne. Et pendant la représentation il a vu comment l’émotion pouvait se déposer sur ce personnage. C’était une belle représentation.
Pourquoi ce goût d’adapter des romans ?
Parce que ça offre plus de liberté. C’est la possibilité de parler beaucoup plus de la période contemporaine. L’auteur de roman ou d’essai a un espace de 300 à 400 pages, un horizon très vaste. Et moi je me promène dans cette forêt et je propose au spectateur un parcours fléché dans un paysage beaucoup plus vaste. Et puis ca pose des questions de forme, de théâtralité, et j’aime ça, avoir à résoudre ces équations d’un théâtre plus complexe.
« Retour à Reims » fait l’objet d’un excellent bouche-à-oreille !
Ca se passe très, très, très bien. On essaye de faire rentrer le maximum de personnes dans la salle, jusqu’à 91, en respectant la réglementation. Mais il y a des gens assis sur les marches.
Des contacts se nouent ?
Un tiers de la salle est composée de programmateurs. Beaucoup nous proposent des choses, on parle en terme de devis…
« Retour à Reims » au théâtre de la Manufacture (1H10)
D’après l’essaide Didier Eribon. Adaptation et mise en scène de Laurent Hatat
Du 6 au 26 juillet (relâche le 16 et le 22)
2 rue des écoles
Réservations : 04 90 85 12 71
A l'automne au théâtre de la Verrière à Lille, aux Métallos à Paris. Puis une tournée en 2015-2016l
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