Ouverture du Off : les rêves de la nouvelle directrice de la Condition des soies Anthéa Sogno
Son nom de famille, Sogno (d'origine suisse italienne), veut dire rêve en italien et Anthéa aime rappeler que son rêve à elle, justement, prend forme : celui d’avoir son théâtre à Avignon. Elle, longtemps comédienne et directrice de troupe à Paris, avait déjà réussi à quitter la capitale – obligation qu’elle s’était fixée après la naissance de sa fille - pour revenir dans sa ville et pays natal, Monaco, et y monter sa propre salle, le Théâtre des Muses. Restait un désir, fort, compte tenu de son attachement à Avignon, celui de diriger une salle dans le OFF. Et pas n’importe quelle salle, une plus chérie que les autres : la Condition des soies.
S’investir dans de vrais coups de cœur
Pour les aficionados d’Avignon, ce théâtre est depuis longtemps une référence, autant pour sa programmation exigeante que pour le lieu, ancien établissement de séchage de la soie, ayant conservé sa beauté mystérieuse sous sa voûte. "Un bâtiment plein de poésie, mais en état de décrépitude avancée quand on l’a retrouvé", explique Anthéa Sogno qui a engagé de gros travaux avant d’investir. Nombreux sont les badauds et spectateurs qui passent jeter un premier coup d’œil.Alors que Caroline Rochefort et Stéphane Duclot, les comédiens de "Quand souffle le vent du nord" terminent de répéter, fièrement la directrice nous montre ce lieu qui a pour elle une saveur particulière. "J’en suis tombée amoureuse il y a une dizaine années, c’est pour moi un lieu magique et sacré. J’y ai joué "Victor Hugo, mon amour" et Philippe Caubère y a créé "La Danse du diable" en 1981". C’est d’ailleurs l’acteur marseillais, ami proche d’Anthéa et père de sa fille, qui a eu vent de la mise en location du théâtre et a permis ainsi à la Monégasque de s’approcher de son but.
Déjà directrice de théâtre, Anthéa Sogno sait l’ampleur du métier de programmateur. Et connaît Avignon pour y avoir joué une douzaine de fois. "La première étape, c’est recevoir énormément de dossiers, se pencher sur chacun, lire des pièces, aller à des lectures, voir des vidéos, parler pendant des heures avec les artistes, auteurs, acteurs, metteurs en scène.... Et ensuite décider, et puis inévitablement avoir quelques regrets pour ceux qu’on n’a pas pu prendre". Ce qui compte avant tout dans un théâtre qu’on a voulu ardemment, explique la directrice, « c’est de s’investir dans de vrais coups de cœur. La question est : est-ce que je serai capable de distribuer des tracts pour ces spectacles ? Il faut vraiment que j’aime les gens et les pièces que je programme. C’est pour ça que j’ai fait venir par exemple Thomas Le Douarec (qui vient de la Comédie des Champs Elysées à Paris mais également de mon théâtre de Monaco) pour son remarquable "Portrait de Dorian Gray" de Wilde. Autre vrai plaisir littéraire, la création de la pièce de Katerine Pancol, "Un homme à distance", qui est mise en scène par Didier Long, directeur de l’Atelier à Paris.
Comme le ventre rond de la femme
Certains spectacles sont programmés pour qu’ils apportent un plus, qu’ils interpellent. C’est le cas "d’Eclipse totale Rimbaud/Verlaine", par exemple, d’après Christopher Hampton, qui évoque la relation amoureuse entre les deux poètes, relation passionnelle, douloureuse, violente : c’est une pièce qui du coup me pose question parce que j’ai le théâtre dans la peau et c’est bien ainsi. Il y a une relation charnelle avec tous ces spectacles, il faut que chacun ait une raison d’être absolue. Le théâtre pour moi est comme le ventre rond de la femme. Je me sens proche de ces créateurs qui portent complètement le spectacle comme une femme son enfant. Pour Stéphanie Vicat, par exemple, comédienne dans "Le cœur cousu" de Carole Martinez (récit par une fille, de la recherche fantasmée d’une mère, ndlr), c’est vital, artistiquement ! Si ces comédiens ou metteurs en scène ne portent pas leur projet, leur croissance artistique est en péril. Il faut le faire, au-delà du métier, au-delà de l’argent ».Shirley, Dino et Elisa
La programmation d’Anthéa Sogno offre une large part aux artistes chevronnés, mais "il est important que de nombreux jeunes comédiens par exemple soient présents, avec leur enthousiasme, leur envie, leurs porte-bonheurs (rires) !". Ainsi par exemple, ceux de la compagnie Vivre en fol (spectacle « Des fleurs pour le petit poucet ») ou encore Elisa Benizio et ses amis (de la compagnie Les mauvais élèves), qui avec "Les amoureux de Marivaux" jouent à 11h30 en alternance avec "Les amoureux de Shakespeare", proposé par les parents d’Elisa, Shirley et Dino.Au-delà du coup de cœur, Anthéa Sogno ne s’est fixée aucune règle. Si ce n’est celle de faire 100% de théâtre. Et si « Brel de la loge à la scène » est présenté comme un spectacle musical, c’est son texte qui a séduit la programmatrice : l’histoire d’un chanteur ému de se retrouver à Knokke le Zoute dans la loge qui fut celle de Jacques Brel en 1963… Il en va de même du spectacle de marionnettes taïwanais "La Naissance", qui l’a touchée pour une écriture et une mise en scène éminemment théâtrales. "C’est une tradition à la Condition des soies d’accueillir ces spectacles de Taïwan et j’ai voulu la perpétuer parce que je les trouve si beaux, si esthétiques, et ça me touche de voir ces compagnies venir de si loin pour transmettre à Avignon ce savoir-faire".
Merci de ne pas interrompre les applaudissements
"C’est un programme très éclectique. Qui convient à la fois au festivalier traditionnel d’Avignon, qui y trouvera une forme nouvelle, une fraîcheur, et à celui qui n’a jamais mis les pieds dans un théâtre ! Exigeant, mais accessible à tous".Le théâtre ouvrira officiellement son Avignon dans quelques heures. Anthéa Sogno elle-même reprendra pour la 750e fois (neuvième saison) à la Condition des Soies l’histoire de Juliette Drouet, qui fut l’amante pour la vie de Victor Hugo. Stress, fatigue, trac. Son souhait, pour cette première comme directrice ? "Au-delà des salles pleines, je voudrais un festival où les compagnies, les comédiens, n’aient pas à souffrir de la densité de la programmation, ce qui est souvent le cas dans le OFF. Que les spectateurs puissent applaudir à leur guise la pièce sans avoir à la laisser la place aux suivants".
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