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Quand la politique s'invite au théâtre
Le théâtre n'a pas renoncé à la politique : face aux remous de l'actualité, des metteurs en scène appellent à la rescousse Brecht, Camus et Saint-Just, tandis que d'autres se mettent à l'écoute des électeurs comme dans le documentaire théâtral "Politique".
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Quand le théâtre affronte la question politique. Première forme : un documentaire théâtral. Le spectacle est donné jusqu'au 30 avril dans la petite salle du Ciné XIII à Montmartre.
"Vous vous intéressez à la politique?"
Muni d'un enregistreur, un collectif de comédiens est allé poser cette question à une centaine de citoyens, de la poissonnière de Pithiviers au DRH de Charenton, pendant près d'un an. Un "documentaire théâtral" mis en scène par Florian Sitbon restitue leur parole, grâce à cinq acteurs incarnant tous les rôles. C'est vif, bien joué et terriblement crédible. Le désenchantement règne, soit qu'on n'y ait jamais cru, soit qu'on en soit "revenu", comme ces anciens soixante-huitards désabusés interrogés par le collectif. Les tabous sont tombés et la parole raciste se libère, même si sur la centaine de témoignages, c'est surtout la désillusion et le retrait du politique qui domine. "On est dans le marasme, c'est assez désespérant", convient Florian Sitbon, également élu municpal PS dans le 15e arrondissement parisien.C'est parce qu'il n'a pas renoncé à la politique que le metteur en scène de 40 ans s'est lancé dans ce projet. "Bien sûr, j'aimerais que les gens se réinvestissent. D'ailleurs, dans la pièce, on entend beaucoup de gens qui font de la politique autrement, qu'il s'agisse de "Nuit Debout", de l'aide aux migrants, du club théâtre de la prof en banlieue..."
"L'état de siège", inspiré de Camus et "La résistible ascension d'Arturo Ui" de Brecht
Emmanuel Demarcy-Mota, directeur du Théâtre de la Ville installé depuis peu à l'Espace Cardin, a cherché chez Albert Camus les réponses aux maux d'aujourd'hui: "les attentats, la peur, légitime, certes, mais qui exige qu'on réfléchisse, que l'on réagisse face à elle". La pièce "L'Etat de siège", inspirée du roman "La Peste", décrit la prise en main autoritaire d'une population terrassée par la peur de la peste, allusion transparente au nazisme (la pièce est créée en 1948). Dans un décor de fin du monde, des acteurs affublés de masques aux longs becs évoluent sous la férule de personnages allégoriques, la Peste, l'Homme, le Juge etc... Un jeune homme, Diego, sera l'homme révolté de cet "Etat de siège" étouffant. En dépit de bons acteurs (Serge Maggiani, Hugues Quester...), le texte apparaît daté, le spectateur reste extérieur à ces personnages animés par un souffle lyrique mais à qui la chair fait défaut.Comme Camus, Bertolt Brecht pensait clairement à la montée du nazisme lorsqu'il créa en 1941 "La Résistible Ascension d'Arturo Ui". Le metteur en scène Dominique Pitoiset a choisi de l'actualiser radicalement pour son adaptation (actuellement en tournée) : il l'habille d'images d'actualité (manifestations contre la Loi Travail) et la clôture par un meeting populiste sous un immense drapeau tricolore. La démonstration est un peu pesante. On attend avec impatience la lecture du même texte par une figure historique du Berliner Ensemble fondé par Brecht, Katharina Thalbach, à partir du 1er avril à la Comédie-Française.
Les "Pièces d'actualité" lancées par le Théâtre de la Commune d'Aubervilliers
Au Théâtre de la Commune, à Aubervilliers, c'est au quotidien que la directrice Marie-José Malis a décidé de faire de la politique en lançant les "pièces d'actualité", où elle invite des metteurs en scène à répondre à une seule question : "la vie des gens d'ici, qu'est-ce qu'elle inspire à votre art ?"Elle se plie elle-même à l'exercice en montant "Institution" (jusqu'au 26 mars au Théâtre de la Commune), inspiré par un texte de Saint-Just ("Les Institutions républicaines", 1794). La pièce sera jouée par les habitants - jeunes déscolarisés, étrangers, retraités, femmes seules - inscrits à l'Ecole des Actes ouverte en novembre 2016 à Aubervilliers et pilotée par le philosophe Alain Badiou.
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