"La Nuit des rois" vue par Thomas Ostermeier : le coming out des comédiens du Français !
"La Nuit des rois", dernière des comédies de Shakespeare (1601), est assez rarement jouée. Récapitulons : séparée de son jumeau, qu’elle croit noyé à la suite d’un naufrage, Viola (Georgia Scalliet) échoue en Illyrie. Déguisée en jeune homme pour survivre sous le nom de Césario, elle entre au service du duc Orsino (Denis Podalydès) dont elle tombe amoureuse. Or le duc, envoûté par Olivia, une belle et sage veuve (Adeline d’Hermy), dépêche Césario pour la convaincre de l’épouser. Cette dernière tombe sous le charme du messager…
Réactions en chaîne
Travestissements et affres de l’amour, Shakespeare pousse beaucoup plus loin que Marivaux les troubles qu’ils procurent. Et Ostermeier, avec sa liberté habituelle, voit une sorte de réactions en chaîne que rien ne peut arrêter. Il interroge l'identité, le déterminisme social, la question du genre, la vérité du désir, au travers de personnages qui découvrent être bien plus équivoques dans leur sentiments amoureux.Identités brouillées
La scène de la salle Richelieu transformée en plage avec ses deux palmiers en carton-pâte est prolongée par un podium qui traverse toute la salle. C’est là que défilent en une nuit complètement folle, toute une galerie de personnages qui tentent de faire le point sur ce qu’ils sont, et dont l’identité brouillée les mène au bord de la folie. On a l’impression parfois d’assister à une grande fête trans !Une mise à nu au propre comme au figuré, slip, guêpière, tous sont très peu vêtus si ce n’est Sir Toby, un noble fêtard et cousin d’Olivia, incarné par Laurent Stocker ; le seul à ne pas être contaminé, avec le fou (Stéphane Varupenne), par l’ivresse de l’amour. Car Antonio, marin hors la loi, est prêt à tout pour Sébastien dont il s’est entiché. Malvolio, faux dévot et intendant d’Olivia, se monte la tête sur les intentions de sa maîtresse et se retrouve cruellement piégé par Sir Toby.
Quant aux deux couples au cœur de l’intrigue, d’un côté Orsino et Viola-Césario (Denis Podalydès et Georgia Scalliett), de l'autre Sébastien et Olivia (Julien Frison et Adeline d’Hermy), il faudra moult quiproquos pour qu’enfin ils tombent les masques. Une scène formidable où, encore troublés par leurs pulsions et leurs inclinaisons, ils s’embrassent longuement : hommes et femmes en couple, mais aussi hommes entre eux et femmes entre elles.
Shakespeare comme dans d’autres de ses comédies ("Le songe d’une nuit d’été") mêle à la mélancolie du désir toute une partie bouffonne et même cruelle à travers des personnages déjantés dont Stocker, Sir Toby, est le chef de file.
Christophe Montenez, bête de scène
De ce point de vue, il faut saluer l’engagement des comédiens, leur talent chorégraphique, cette mise à nu courageuse que des costumes très légers imposent à plusieurs d’entre eux (certaines images du spectacle peuvent heurter). Dans la folie furieuse qui s’empare parfois de la scène, on citera aux côtés des couples transis d’amour, le délire absolu de Christophe Montenez qui se révèle de plus en plus une bête de scène et la présence de Stéphane Varupenne, qui fait de son fou un personnage de sage, talents musicaux compris. Il joue du trombone et de la guitare électrique aux côtés de deux musiciens, un contre-ténor à la voix magnifique (Paul Antoine Bénos-Djian) et un joueur de théorbe (Clément Latour), dans des intermèdes musicaux magnifiques, de Monteverdi à Vivaldi.La nouvelle traduction française et en prose d’Olivier Cadiot donne une belle fluidité à la langue. Dommage qu’aient été ajoutées quelques déclarations controversées d’Emmanuel Macron telle "Les gaulois réfractaires au changement" ou encore une allusion à Benalla. Cela fait rire la salle mais n’apporte rien au spectacle, qui par le génie de Shakespeare mais aussi par l’énergie formidable qu’orchestre Ostermeier, passe, sans entracte, comme une lettre à la poste.
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