"L’avantage avec les animaux..." : le souffle poétique de Rodrigo Garcia au Rond-Point
Un décor de terrain de basket. Le terrain de basket est à la mode, c’était aussi le décor de « Répétition » de Pascal Rambert dont nous vous avons parlé avant Noël. Celui-ci est urbain, presque new-yorkais, entouré de grillages, avec au-dessus une jolie peinture façon tag. Métaphore de l’enfermement? Pas très original, en plus le texte de Garcia ne parle pas de la ville. Mais admettons ce choix de Christophe Perton, le metteur en scène et de Marc Lainé, son scénographe. L’important, c’est ce que Perton en fait, et ce qu’il fait du texte.
Un auteur
Car « L’avantage avec les animaux… » est un monologue. Où Garcia se fait acide, dénonciateur, parfois gentiment provoquant (petit développement sur les « lunettes des chiottes »), érudit et admiratif, désespéré, inquiet, bouleversé, bouleversant (le développement final sur la mort d’une mère, porté par sa fille ou son fils dans la forêt, avec un chien, compagnon fidèle). Le thème de « L’avantage avec les animaux… » ? Y a-t-il un thème dans ce genre de texte ? Il y a un auteur et c’est déjà très bien.
Il y a les obsessions d’un auteur, ses angoisses, ses détestations (les polos pastel et Nouvelle Angleterre d’une certaine marque américaine qui débouchent sur un flingage en règle et tordant de la bobo-bourgeoisie), sa tendresse (inattendue pour ceux qui ne connaissent de Garcia que ses mises en scène). Il y a surtout un équilibre le plus souvent réussi entre l’art de la formule (« Quand vient la mort, l’amour éclate » « Personne ne devrait mourir incomplet ») et la description, le récit qui donne de la chair aux idées.
Garcia s’appuie aussi sur des références culturelles: des écrivains, le Suisse Robert Walser (ce n’est pas très original, Walser est, comme Artaud, un des auteurs « tarte à la crème » des intellectuels) et l’Espagnol Francisco de Quevedo, grand auteur satirique du XVIIe siècle espagnol et lui aussi grand provocateur (« Le promesses sont espionnes à mes yeux » « Mourir vivant n’est que sagesse pure »). Des cinéastes, Bunuel et Kurosawa. Des lieux (le cimetière d’Igualeda à Barcelone). On aime enfin la dimension purement latino-américaine qui affleure parfois dans une exagération aussi poétique que grandiloquente de l’écriture : « Tu éternises ta propre aflliction », « La foi se liquéfie dans les mains brûlantes de la douleur ». Et l’on se dit à plusieurs moments qu’on aurait envie de relire cet « Avantage… à tête reposée, dans le silence de la pampa.
La mise en scène de Christophe Perton
Que fait Christophe Perton de ce monologue? Une œuvre à trois voix et à trois visages. Pourquoi pas, là encore? Un homme, deux femmes, sont-ils frères et sœurs, on ne le saura pas, on ne les nommera pas. Chez Garcia ils s’appellent Elena, Patricia et Carlos. Perton fait des efforts désespérés et le plus souvent payants pour nous faire croire que c’est bien du théâtre, pour faire de ce texte et de ce qu’il en fait une vraie proposition théâtrale. Avec sons (danse sauvage d’Anne Tismer sur une musique elle-même sauvage à la Nina Hagen, passages dits par les trois comédiens sur un madison décalé qui est, de leur part, une jolie performance de danseurs), utilisation intelligente de l’espace et parfois chute d’inspiration (la mort de la mère, contée, vécue, par Anne Tismer voit ses deux partenaires laissés en plan). Mais le spectacle est un peu trop long.
Des comédiens à la hauteur
Les trois comédiens sont assez largement à la hauteur. Vincent Dissez, excellent comédien de théâtre et surtout de théâtre public, a une belle présence virile, la violence et la détresse secrète mêlées. Son défaut: ne pas aller chercher dans les marges, trop rester sur l’écume du texte. Judith Henry, diction parfaite, autorité du jeu, belle occupation de la scène, a les propositions les moins intéressantes à défendre et nous retient donc un peu moins. Anne Tismer est la découverte. Son accent allemand nous gêne au début, la voix est un peu en-dessous, le débit curieusement scandé. Mais elle est la seule (et cela vaut aussi pour la mise en scène de Perton) à nous faire entendre à certains moments combien le texte de Garcia, le personnage de Garcia, peuvent être « borderline ». Et à l’être elle-même dans ce passage de la « mort de la mère » et de son agonie sur le dos de l’enfant, bras ensanglantés, le chien claudiquant derrière, qui accepte enfin de rester attaché dans la forêt près de la mourante, fidèle et patient gardien promis peut-être lui aussi à la mort puisque « l’avantage avec les animaux, c’est qu’ils t’aiment sans poser de questions »
"L'avantage avec les animaux c'est qu'ils t'aiment sans poser de questions" au Théâtre du Rond-Point
Jusqu’au 14 février
2 bis avenue Franklin Roosevelt Paris 8e
Réservation : 01 44 95 98 21
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