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"Les Oubliés (Alger-Paris)" : la naissance de la Ve République par la Comédie-Française

Après "Europe, mon amour", tétralogie consacrée au tournant des XIXe et XXe siècles sur le vieux continent, Julie Bertin, Jade Herbulot et leur compagnie Birgit Ensemble s’associent à la Comédie-Française pour "Les Oubliés (Alger-Paris)" au Théâtre du Vieux Colombier à Paris. Elles ouvrent un nouveau cycle voué à la France avec la naissance de la Ve République à l’ombre de la guerre d’Algérie.
Article rédigé par Jacky Bornet
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 2 min
"Les Oubliés - Alger-Paris" de Julie Bertin et jade Herbulot - Le Birgit Ensemble - Comédie-Française
 (Christophe Raynaud de Lage)

Intimité et Histoire

Le mariage d’Alice Legendre (Pauline Clément) et de Karim Bakri (Nâzim Boudjenah) est célébré en 2019 dans la marie du 18e arrondissement de Paris. Lors des traditionnels vin d’honneur et repas de noce, les convives évoquent la Guerre d’Algérie (1954-1962) avec de plus en plus de discordances et de véhémence. En parallèle, dans les alcôves du pouvoir des années 1958-1961, le général de Gaulle (Bruno Raffaelli), appelé par le président René Coty, impose l’adoption d’une nouvelle Constitution à l’origine de la Ve République, pour sortir des "événements d’Algérie".

Julie Bertin et Jade Herbulot, auteures et metteuses en scène, ont fait de l’Histoire leur cheval de bataille. Étendue sur deux périodes qui se télescopent tout le long de la pièce, "Les Oubliés" passe constamment de l’intime à l’Histoire. Ce mariage, éminemment symbolique entre Karim, Français d’origine algérienne, et Alice, Parisienne pure souche, renvoie à l'amour-haine entre l’Algérie et la France, lors de sa lutte pour l’Indépendance. Les désaccords de plus en plus tendus entre parents, mariés et invités évoquent le divorce entre Paris et Alger avec son lot d’attentats des deux côtés (FLN et OAS). En toile de fond, de Gaulle et Debré préparent la Ve République pour recoller les morceaux d’une France désunie, en mutation avec la décolonisation en marche. Plus globalement, "Les Oubliés" met en perspective l’influence de l’Histoire sur l’individu et les rapports humains.
"Les Oubliés - Alger-Paris" de Julie Bertin et jade Herbulot - Le Birgit Ensemble - Comédie-Française
 (Christophe Raynaud De Lage)

Piqûre de rappel

À l’heure d’une dénonciation de ce que d’aucuns qualifient de "République monarchique" française, "Les Oubliés" constitue une bonne piqûre de rappel en évoquant le contexte singulier qui en a vu l’émergence. Mais que l’on ne s’y trompe pas, la pièce de Julie Bertin et Jade Herbulot n’est pas un pensum historique, ne prône aucun militantisme, interroge plus qu’elle ne répond aux questions, et repose sur une dramaturgie et une scénographie originales ponctuées d’humour.

Ainsi, le plateau se trouve au milieu des spectateurs répartis sur des gradins se faisant face. Les changements de décors sont des plus fluides et ne cassent pas le rythme. Des projections, avec notamment le "confessionnal" où les acteurs défilent pour expurger leurs ressentiments face à une situation qui dérive, ponctuent la progression dramatique. Le jeu remarquable de tous les acteurs du Français présents, neuf au total dont la plupart dans des doubles rôles (ceux déjà cités, Serge Bagdassarian, Danièle Lubrun, Elliot Jenicot, Sylvia Bergé, Eric Génovèse…) participent d’un spectacle vivant aux relances constantes. Les auteures parviennent à relever la gageure de traiter un sujet grave en favorisant une approche ludique, tout en diffusant un message instructif. Une très belle réussite.
"Les Oubliés - Alger-Paris" de Julie Bertin et jade Herbulot - Le Birgit Ensemble - Comédie-Française
 ("Les Oubliés - Alger" - Paris : l'affiche)

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