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"L’Heureux stratagème" au théâtre du Vieux-Colombier : Marivaux réussit un étourdissant portrait de femme
C’est une pièce rarement jouée de Marivaux qui est montée pour la première fois par les comédiens du Français au Théâtre du Vieux-Colombier, à Paris. "L‘Heureux stratagème" est une sorte de Dom Juan au féminin, cruel et impeccablement interprété par Claire de La Rüe du Can et ses camarades.
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"L'Heureux stratagème", c’est du Marivaux à l’os, désencombré des quiproquos habituels sur les mariages arrangés et les questions d’argent. Un Marivaux où les hommes sont des marionnettes et où le sort des valets dépend plus que jamais du bon vouloir des maîtres.
Une féministe avant l'heure
La Comtesse lassée de Dorante tombe dans les bras du Chevalier Damis, un beau Gascon un peu beauf. La Marquise, délaissée par son amant le Chevalier, propose à Dorante de feindre de s’aimer pour raviver la flamme des infidèles. Toute la pièce tourne autour du personnage de la Comtesse, qui se laisse guider par les atermoiements de son cœur, ses émotions, avec une liberté et une désinvolture totale. Une féministe avant l’heure, interprétée par la jeune Claire de La Rüe du Can, avec une candeur aussi désarmante que cruelle.Car la Comtesse se moque éperdument des ravages que produit son attitude sur ceux qui l’entourent, et particulièrement sur les plans amoureux des domestiques. Le féminisme du début tourne à un égoïsme absolu, d’autant plus terrible qu’il a le visage lisse et ingénu de la comédienne.
Une distribution aux petits oignons
Le metteur en scène Emmanuel Daumas réunit, autour de Claire de La Rüe du Can, une distribution aux petits oignons. Jérôme Pouly est un Dorante digne et touchant manipulé par une Julie Sicard très juste en Marquise obsédée par sa vengeance. Laurent Laffitte campe un Damis tordant. Nicolas Lormeau est un père soucieux de préserver sa fille Lisette. Jennifer Decker, Eric Génovèse et Loïc Corbery (lui qui nous a si souvent habitués à être du côté des petits marquis) donnent tout le désarroi souhaité aux valets, désarmés, manipulés comme des animaux de compagnie, acculés à se rebeller.Des valets traités commes des animaux de compagnie
Marivaux a toujours parlé en filigrane des relations entre les valets et les maîtres, qu’ils prennent l’ascendant ou qu’ils soient réduits à leur condition. Voici un texte où le mépris de classe est traité avec une acuité qui nous fait bien comprendre les bouleversements à venir de la Révolution.Le dispositif bi-frontal nous fait ressentir le moindre frémissement des comédiens, pris dans une course folle déclenchée par les seuls états d’âme de la Comtesse. Dans un décor sans grâce, blanc et épuré, fermé à chaque extrémité par des bâches en plastique, les valets s’affolent comme des mouches aveuglées par la lumière.
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