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"Réparer les vivants" : seul en scène, Emmanuel Noblet fait battre le cœur d'Avignon

Seul en scène, le comédien Emmanuel Noblet joue "Réparer les vivants", le roman de Maylis de Kerangal publié à la rentrée dernière, qui raconte une transplantation cardiaque. Palpitant !
Article rédigé par Laurence Houot
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 4 min
Emmanuel Noblet dans "Réparer les vivants", Avignon 2015
 (Laurence Houot / Culturebox)

Déjà devant le théâtre dans la file d'attente, on s'interroge. "Je me demande comment il a adapté le livre de Maylis de Kerangal", murmure un homme à son voisin. "Il", c'est Emmanuel Noblet, celui qui s'est lancé dans cette entreprise périlleuse : adapter le roman de Maylis de Kerangal qui raconte l'épopée d'un cœur de la mort cérébrale du donneur, Simon Limbre, 19 ans, jusqu'à la greffe de ce coeur dans la poitrine d'une femme de 51 ans.

"J'ai adoré le livre", poursuit le futur spectateur, "mais il n'y a pas qu'un seul narrateur, c'est un livre choral où l'on passe d'un point de vue d'un personnage à un autre, tout le temps dans un mouvement de relais", ajoute le spectateur visiblement très impatient de découvrir la pièce. Et il n'est pas le seul. "Réparer les vivants" bénéficie d'un très bon bouche à oreilles et fait salle comble tous les jours à midi au théâtre La Condition des soies à Avignon. Entrons.

La vague

Il fait frais dans la salle ronde, (l'ancienne rotonde où la soie était conditionnée au XIXème siècle). Murs en brique. Décor minimaliste (deux chaises). La lumière s'éteint et c'est la première scène du livre de Maylis de Kerangal que le comédien vient jeter à la figure du spectateur. Cette extraordinaire scène gonflée de vie : la joie physique d'un corps dans la puissance d'une vague. Un cœur qui bat. Juste avant que tout s'arrête. Juste avant la tragédie.

Commence alors le compte à rebours, celui qui doit conduire la famille à entendre l'inaudible mot "irréversible", puis à accepter que le corps de leur enfant encore chaud, encore respirant, soit amputé des ses organes. Et qu'un autre être humain, Claire, une femme de 51 ans au cœur malade puisse en bénéficier pour continuer à vivre. Entre les deux, une corde tendue à bloc, entre les sentiments humains les plus extrêmes, et les sommets de la sophistication technique et médicale.
  (Laurence Houot / Culturebox)
Dans une économie de moyens, Emmanuel Noblet, seul en scène tient le fil ténu de cette épopée. Narrateur et tous les personnages à la fois, ou presque, il compose cette partition avec un engagement total. "Dès que j'ai entendu parler du livre, j'ai eu envie de le lire. Je me suis précipité dans une librairie pour l'acheter le jour de sa sortie. Et je l'ai dévoré. Et j'ai tout de suite commencé l'adaptation", explique le comédien à la sortie de la représentation.

"Ce sont les mots qui donnent vie aux personnages"

"J'ai essayé de garder cette alternance, d'équilibrer les moments de vie, légers (comme la nuit torride de l'infirmière, ou la pizza), et les moments où il est question de la mort. J'ai tiré presque tous les dialogues du roman, mais il y en a peu en fait. J'ai gardé cette manière de faire parler un narrateur. Parce que c'est comme ça que c'est écrit. Les personnages existent par la description de ce qu'ils font, comme des fantômes, qui prennent vie à travers les mots. La langue de Maylis de Kerangal convoque l'imaginaire du lecteur, c'est magnifique. J'adore", explique Emmanuel Noblet. "Et puis je me suis servi du son, des textes projetés, pour économiser le texte. Tout ce qui est dit pas le son n'a pas besoin d'être dit par du texte. Un peu à la manière de Simon Mc Burney".

"Il y a tout ce que j'aime là-dedans. C'est tout le contraire de ce qui domine dans notre monde aujourd'hui : le don, anonyme, et qui donne la vie. L'exact inverse de la société du spectacle, de l'égoïsme", souligne Emmanuel Noblet, qui a aussi fait la mise en scène du spectacle. "J'ai travaillé pour les autres pendant quinze ans, et je me disais : un jour je ferai un truc à moi. Quand j'ai lu le livre de Maylis de Kerangal, j'ai su que ce serait ça", raconte-t-il.

Transplantation réussie

"Au début, je pensais confier la mise en scène à quelqu'un d'autre. J'avais demandé à Jean-François Sivadier de le faire, mais il m'a dit : tu as déjà tout prévu, la musique, les vidéos. Fais le !". Alors le comédien s'est lancé, avec l'aide de Benjamin Guillard, pour guider son travail d'acteur tout au long des répétitions. "C'était la 6e représentation aujourd'hui.Etre seul en scène, c'est une drôle d'énergie", confie le comédien. Sur scène un dispositif scénique minimaliste : des sons, des projections pour accompagner le récit, des voix off. Deux chaises qui se transforment en lit chirurgical avec un simple drap.

Le résultat est une réussite. Emmanuel Noblet tire de ce très beau roman un spectacle de théâtre intense. "Ce qu'il y a de très beau dans l'idée de ce solo, c'est que le corps de l'acteur devient le lieu d'une performance physique reconduisant celui de la transplantation", a déclaré Maylis de Kerangal, qui a fait le voyage jusqu'à Avignon pour assister à la première. "Elle était debout à la fin du spectacle", raconte Emmanuel Noblet, ému. Comme les spectateurs.

"Réparer les vivants" Maylis de Kerangal (Gallimard/ verticale), mise en scène et interprétation Emmanuel Noblet, avec la collaboration artistique de Benjamin Guillard.
Jusqu'au 26 juillet 2015 au théâtre Condition des Soies tous les jours à 12H00 (relâche le 20 juillet).
Billetterie: 04 32 74 16 49

Emmanuel Noblet met également en scène "Et vivre était sublime" à la Manufacture, avec Nicolas Rey et Mathieu Saïkali, tous les jours du 16 au 25 juillet.

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