Robert Hirsch et Michel Bouquet, un succès sans usure
Au Théâtre Hébertot, s'impose un Robert Hirsch troublant de vérité dans le rôle d'André, "Le Père", touché par Alzheimer. Selon les observateurs, le comédien est hilarant quand il secoue les mains et tremblote pour imiter le vieillard qu'il nie absolument être, ou quand il suggère à sa fille (Isabelle Gélinas) qu'elle a vraiment "des problèmes de mémoire".
Alors que c'est lui qui, en réalité, voit sa mémoire se dégrader, évoluer de manière étrange, provoquant une confusion qui contamine la salle entière... Du grand art pour un comédien fort de 65 ans de carrière, dont 25 passés à la Comédie-Française, sans aucune lassitude. C'est Robert Hirsch qui a demandé à Florian Zeller (auteur il y a deux ans de "La Mère") de lui écrire ce rôle saisissant, qu'il assume avec un naturel impressionnant.
Bande-annonce de la pièce "Le Père"
De son côté, le jeune auteur explique avoir travaillé pour que le spectateur soit amené à "ressentir l'égarement qui est le sien", dans l'entretien qui accompagne le texte de la pièce. Sa source d'inspiration... "Le Roi se meurt", justement, et la petite phrase de la reine à son époux : "Lâche les plaines, les montagnes..."
"C'est cela que raconte 'Le Père' : ce moment où il faut accepter de lâcher son royaume. Et contre quoi ? Contre rien", déclare Florian Zeller.
Bouquet, un "roi qui se meurt" depuis près de 20 ans... sans la moindre érosion
Ce roi contraint de lâcher un royaume qui n'est "plus que de la poussière", Michel Bouquet l'incarne depuis bientôt 20 ans, aiguisant sans cesse son jeu. Celui qui annonçait fin 2011 son retrait définitif de la scène fait salle comble au Théâtre des Nouveautés, ayant attiré 22.000 spectateurs en deux mois, et va remettre ça pour une tournée en 2013.
"Il a la pêche", confirme à l'AFP la directrice adjointe du théâtre, Maria Pipaud. "On craignait la fatigue au début, d'ailleurs le public ne s'est pas tout de suite manifesté, il a attendu qu'il monte sur scène." L'oeil vif, le sourire bonhomme ou grimaçant, Michel Bouquet réinvente tous les soirs ce roi déchu qui doit apprendre à mourir, alors qu'il a passé sa vie "à faire l'école buissonnière", à courir de fêtes en guerres pour oublier la mort.
Eugène Ionesco (1909-1994) disait de sa pièce qu'elle était "un essai d'apprentissage de la mort". "Tu vas mourir dans une heure et demie, tu vas mourir à la fin du spectacle", lance d'emblée à son époux la Reine Marguerite, alias Juliette Carré, la femme de Michel Bouquet dans la "vraie vie". Le Roi doit rattraper des "centaines d'années" d'inconscience en une petite heure et demie. Michel Bouquet déploie tout son (grand) art. Le vieil homme indigne qui sautille en traversant la scène au début se mue en vieillard titubant, en enfant ému de la beauté du monde - les couleurs, la saveur d'un pot au feu - pour finalement se détacher de tout, flottant entre deux eaux avant que la mort l'engloutisse.
Bande-annonce de la pièce "Le Roi se meurt"
Lancez la conversation
Connectez-vous à votre compte franceinfo pour commenter.