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"Roméo et Juliette" à la Comédie-Française : Sulian Brahim, magnifique héroïne

De sa voix de basse rocailleuse Bakary Sangaré ouvre le spectacle tel un griot africain. Il dit le prologue et nous annonce des amours malheureuses du fils Montaigu et de la fille Capulet et nous demande d'éteindre nos téléphones portables ! Le ton est donné, la tragédie sera mélangée de farce.
Article rédigé par Sophie Jouve
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 3min
"Roméo et Juliette" à la Comédie-Française, mise en scène d'Eric Ruf
 (Vincent Pontet/Comédie-Française)

Et nous voilà dans une fête de village. Au fond de la scène un homme (Serge Bagdassarian) chante sur une estrade dans une atmosphère de bal du samedi soir. Il y a des danses, des rires et déjà quelques querelles dans cette Italie du sud à l'époque mussolinienne où Ruf situe l'action. Une Italie pauvre où les disputes dégénèrent vite en affrontement de clans.

Suliane Brahim est une très grande Juliette

La fête se poursuit (jolis costumes de Christian Lacroix) dans un palais décati évoqué par un habile décor de pans de murs mobiles, la demeure des Capulet. Roméo y suit ses copains Benvolio (exubérant et subtile Laurent Lafitte) et Mercutio (bouillant Pierre Louis Calixte). C'est là qu'il aperçoit Juliette pour la première fois.

Suliane Brahim est une très grande Juliette, frémissante et pleine de fougue, fragile et si forte. Jérémy Lopez est un Roméo lunaire à moustache qui se sait très vite condamné. On le sent dépassé par son amour, mais on sent aussi le comédien dépassé par son personnage.
Suliane Brahim, Juliette
 (Vincent Pontet/Opéra national de Paris)

Un sentiment d'urgence qui porte le spectacle

Là où Eric Ruf (l'administrateur de la Comédie-Française qui signe aussi la scénographie) réussit sa mise en scène et où ce nouveau "Roméo et Juliette" fonctionne (la pièce n'avait pas été jouée depuis 1952 !), c'est dans cette course à l'abime, cette énergie désespérée qui fait la grandeur tragique de l'histoire des deux jeunes gens. Un sentiment d'urgence qui porte le spectacle.

Ruf s'appuie sur une ancienne traduction de François-Victor Hugo, qu'il n'a pas hésité "à beaucoup dégraisser et couper", pour actualiser et redonner toute sa crudité et sa verdeur à la langue de Shakespeare.

Danièle Lebrun joue délicieusement une mère éthérée et soumise, habillée en éternelle petite fille, incapable de s'opposer à son époux, père aussi aimant qu'intraitable. Le père Capulet c'est Didier Sandre que Ruf n'hésite pas à transformer en fée du logis affublé d'un tablier à volant, au risque de casser l'émotion de certaines scènes.
Danièle Lebrun, Didier Sandre, Sulian Brahim et Claude Mathieu
 (Vincent Pontet/Comédie-Française)

Heureusement, répétons-le, il y a Suliane Brahim. C'est elle qui est au cœur des plus belles scènes : celle du balcon où juchée sur un mur vertigineux elle est troublante de simplicité, celle où seule dans sa chambre elle décide d'affronter la mort.

Dans le rôle de frère Laurent, Serge Bagdassarian est excellent, comme l'est Bakary Sangaré qui symbolise la voix du peuple. Elliot Jenicot est un Paris bouleversant. Claude Mathieu, une nounou pleine de tendresse.
La  pièce se termine par une scène extrêmement forte que l'on doit toute à l'imagination de Ruf. Dans les catacombes, le cadavre de Juliette, momie parmi les momies de Palerme, attend contre un mur, la venue de Roméo.

On reste sur ce sentiment terrifiant, qui rachète les petits défauts d'une mise en scène qui reste malgré tout largement à la hauteur de l'œuvre.

L'interview d'Eric Ruf dans le journal de 13h de France 2, le 9 décembre 2015 :

"Roméo et Juliette" de Shakespeare à la Comédie-Française
Salle Richelieu, Place Colette, Paris Ier
En alternance du 5 décembre au 30 mai 2016
Réservation : 01 44 58 15 15

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