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Témoignage Agnès Soral, une actrice en temps de pandémie : "J'ai appris à ne pas rentabiliser mon temps"

La partenaire de Coluche dans "Tchao Pantin" il y a 38 ans déplore le sort réservé aujourd'hui aux professionnels de la culture et la gestion de son secteur.

Article rédigé par Jacky Bornet
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 10min
Agnès Soral, Paris, mars 2021. (Jacky Bornet)

Nommée César du meilleur espoir féminin dans Tchao Pantin en 1984, au côté de Coluche (César du meilleur acteur), Agnès Soral fait partie de la mémoire collective. Après 44 ans de carrière, celle qui a débuté au théâtre à 13 ans, avant d'être repérée par Claude Berri, nous parle de son métier et de son confinement depuis un an.

Franceinfo Culture : Comment vous situez-vous dans la profession ?

Agnès Soral : Je me sens comme une artisan, j’aime le collectif, participer, j’aime le partage, j’ai été coach à un moment. A mon âge, je n’ai pas le physique d’une femme de 60 ans, et je n’entre pas forcément dans la case marketing que l’on attend. J’ai envie que l’on me confie des rôles plus mûrs, mais il n’y en a pas beaucoup. Le paradoxe, c’est que la France est vieillissante, mais que la représentation des femmes à partir de 50-55 ans est faible, alors que l’homme est très présent à l'écran. C’est le contraire en démographie.

Comment avez-vous vécu professionnellement ce "confinement" depuis un an ?

En mars 2020, j’étais au théâtre en tournée dans Toâ de Sacha Guitry, qu’on a joué dix fois, puis arrêté. J’ai été contactée par une troupe qui m’a proposé une autre pièce, Très chèrement dit, ce qui fait que j’ai travaillé pendant le confinement, et joué quelques fois en tournée. Puis nouvel arrêt fin octobre, suivi du deuxième confinement. Paradoxalement, j’ai aussi joué dans des téléfilms, et un court métrage, depuis novembre, puisqu'on pouvait travailler. J’ai plus joué que ces trois dernières années. C’est étrange, même si des films ont été repoussés, jusqu’à être annulés pour certains. J’ai fini un téléfilm, La fille dans le bois, où on était tous masqués sur le plateau. Là, je m’apprête à tourner un autre court. Cela fait donc cinq tournages, dont un court a été primé, Motus d’Elodie Wallace, plus deux pièces. Les gens étaient contents de jouer avec moi, cela m’a fait plaisir.

Et d’un point de vue plus personnel ?

Pendant le confinement dur, j’ai appris à ne pas rentabiliser mon temps. J’ai découvert ma solitude. J’ai coupé mon téléphone, suis restée face à moi-même, j’ai vérifié si j’étais de bonne compagnie, j’ai fait de la méditation, du sport avec ma fille, je me suis occupée de la rééducation de ma mère. Je suis hypnothérapeute aussi, mais pas sur Facetime. J’ai besoin d’être avec mes patients. Il ne faut pas les abandonner. Il a fallu que j’arrête, c’est la seule chose qui m’a manqué, puis ma tournée de théâtre et les tournages ont pris le dessus.

Pour l’argent, le statut d’intermittent est par définition précaire, nous avons l’habitude, en tant qu’artiste, de perdre tout le temps notre travail. J’ai toujours eu confiance, même si j’ai une carrière en points de suspension, avec une image, et les attentes du marché. Sinon, j’ai bien sûr été frustrée de ne pas sortir. Pour le port du masque, ça n’a jamais été un problème, j’ai déjà cette culture, au premier rhume, à une grippe, je protège les autres. J’espère que les gens ont compris son usage et que ça restera.

Par contre, j’étais incapable d’écrire durant cette année. J’ai eu envie de commencer un deuxième roman, et je me suis dit, non, lâche prise. Heureusement, j’ai la main verte, et je cultive des plantes et légumes sur mon balcon à Paris. Ça m’a beaucoup apaisée. Mais je n’ai eu aucune créativité face à cet ennemi invisible, à la nuisance mal définie. J’ai eu le Covid pendant cinq jours avec convalescence, et me suis soignée avec des huiles essentielles et des inhalations, pour que la fièvre ne dépasse pas 39.2. Le coronavirus est plus insidieux que le sida, seulement contaminant lors de rapports sexuels non-protégés et par le sang. J’ai eu le sentiment de me rapprocher de la nature avec mon traitement, et en jardinant, parce qu’elle me manquait. Pour la fièvre, on peut trouver des alternatives à la chimie, et je me suis nourrie de mes légumes.

Quel est votre sentiment sur le sort réservé à la culture en ce moment ?

La gestion de la culture durant cette crise est extrêmement grave, car dénuée des mesures pour permettre sa diffusion. S'il y a une centaine de théâtres occupés, ce n'est pas pour rien, ça pourrait être les musées aussi. L’art provoque une sorte d’hypnose, chez l'artiste et le spectateur. Je crois qu’il est encore plus important dans la période qu’on traverse, car l’art est une transcendance qui permet de s’extraire des contraintes quotidiennes, comme le travail, quand il n’est pas épanouissant. Alors une pandémie... J’ai trouvé très touchant que les gens découvrent qu’ils étaient mortels, ou que les Français se rassemblent en période de peur. J’ai donc cherché à développer une vibration inverse à la peur, dans le calme. La culpabilité de ne pas travailler a surgi, perd-on sa vie à la gagner ? Alors qu’on dit "passer le temps", je trouve qu’il passe trop vite. J’ai arrêté d’être suractive. C’est ce qui m’a définie chez certaines personnes. Ils vont désormais découvrir autre chose que ce qu’ils attendent de moi. Certains sont partis, d’autres reviennent, on est très reliés les uns aux autres en fait, beaucoup plus intuitivement qu’on ne le croit.

Vous avez incarné une image de la jeunesse des années 1980-90, quel regard portez-vous sur celle qui vit la pandémie ?

C’est vrai qu’ils sont en première ligne et gâchent leur entrée dans la vie, comme sacrifiés. On a pu dire un peu la même chose des années sida, mais ça ne touchait que la sexualité, eux ne peuvent pas se réunir. Mais il faut se resituer par rapport au passé. A leur âge, nos aïeux ont vécu les tranchées de 14, l’Occupation, l’Indochine, la guerre d’Algérie, les gens étaient obligés de partir, certains pour ne pas revenir, par décision de l’Etat. C'était d'autres sacrifices. Ce qui n'empêchait pas d'aller au théâtre, au cinéma et danser à l'arrière, c'est toute la différence. Aujourd'hui, le front est partout. En caricaturant, maintenant, on dirait que c’est la fin du monde de ne pas aller au restaurant ou faire la fête, restons décents. Oui, c’est terrible, pour tout le monde, pas uniquement les professionnels. J’ai également mal supporté le paternalisme de l’Etat, cette dépersonnalisation des individus, c’est agaçant, est-ce que c’est de l’ego, de part et d’autre ?

Paradoxalement, cette période déstabilisante est synchrone à une si riche actualité dans votre carrière...

Cela m’a touchée qu’on se demande comment je vieillissais, j’ai pris des rôles sans maquillage par exemple. Cette demande reflète une nouvelle image, détachée de la seule apparence séduisante et sexy, qui domine en France. C’est moins le cas en Angleterre, où on offre plus de rôles mûrs, plus ingrats, moins attachés au glamour.

J’ai récemment raté un casting. Comment ai-je pu rater un casting après 45 ans de carrière ? C’est affligeant. En fait, je crois que j’avais peur de le réussir, parce que le rôle ne me plaisait pas. Bien sûr il y a l’argent, d’autant qu’il n’y en a pas beaucoup en ce moment. Si j’avais été sélectionnée, je n’aurais pas eu le courage de dire non. Comme je ne suis pas carriériste, c'était un mal pour un bien.  Si je l’étais, il y a des choses que je n’aurais jamais faites. Je suis contente de ce que je fais, mais il faut que je sois satisfaite pour le faire. J'aime travailler, j'aime cet art, mais je ne suis pas opportuniste. Là, je viens de commencer avec une troupe "amateurs", très professionnelle, chose que je n’aurais peut-être pas faite avant.

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