"Terrasses" au Théâtre de la Colline : Laurent Gaudé fait revivre les victimes des attentats de novembre 2015
Des mots pour dire. Des mots pour les vivants et les morts. Et pour les survivants. Des mots pour exprimer l’indicible. Ces mots, Laurent Gaudé les a trouvés. Un à un. Ces mots traversent un silence épais, celui d’un public qui retient sa respiration alors que les comédiens sur scène donnent vie à des personnages qui ont vécu dans leur chair les attentats de novembre 2015. Ceux qui ont en sont morts, et ceux qui ont en réchappé. Victimes, passants, secouristes, parents, policiers, infirmières… Les seuls, et c’est un choix assumé par l’auteur, à être privés de parole sont les tueurs. Ils en sont exclus. Au théâtre de la Colline, sur une mise en scène de Denis Marleau, la dernière œuvre de Laurent Gaudé, Les terrasses, une pièce polyphonique, est une résistance à l’horreur, une résilience.
Le défi n’est pas facile. Comment parler de ce 13 novembre 2015 ? Les terrasses de Laurent Gaudé n’est ni une enquête journalistique, ni un documentaire. "Toute la difficulté a été de réussir à trouver des zones de liberté face à ce drame encore si présent dans les mémoires, car je ne pouvais pas tout me permettre. Je ne pouvais pas inventer des évènements qui n’ont pas lieu cette nuit-là, cela aurait été obscène", explique-t-il. Dans un décor minimaliste, dépouillé, avec un plateau nu, les 17 acteurs se succèdent, disent, narrent la journée fatidique, avec derrrière eux un écran vidéo. Avec une langue riche, percutante, ils expriment l’avant, le pendant et l’après le drame.
Les voix des vivants et des morts
Les gens normaux sont extraordinaires. Ils se révèlent héroïques dans les moments exceptionnels. Dans ce décor noir, tous les sentiments sont mis à nu. Les comédiens évoluent sur un plancher déséquilibré, déformé par des vides anxiogènes, des béances tortueuses. Ce vendredi 13 novembre, la météo est à la fête. Avec le temps clément, les Parisiens profitent des terrasses. L’horreur viendra plus tard. La pièce s’ouvre sur le désir d’une jeune amoureuse de retrouver sa copine. Elle savoure son impatience, comme une promesse de concrétiser leur "long baiser si longtemps retardé". Peu importe qui embrasse l’autre en premier.
Ensuite, tout bascule. Des morts, des blessés, au hasard. "Il est là. Le Hasard. Il s’avance, descend la rue de son pas irrégulier, murmurant entre ses dents une chanson au refrain effrayant : "Toi, oui… Toi, pas…" Mais qui l’entend pour l’instant ? Qui se doute qu’il est venu pour régner et que c’est lui, désormais, qui va décider de nous, décider de tout".
A ce moment-là, dans la salle, un silence lourd, comme un recueillement. L’évocation du Bataclan par les morts et les vivants, les policiers, les passants et le personnel médical est bouleversante. "En entremêlant les voix des vivants et des morts, en permettant aux récits de prendre forme et en osant y faire surgir la lumière, le texte de Laurent Gaudé crée la possibilité d’un triomphe de l’amour et de la vie qui continue. Car oui, on le sait tous, c’est une histoire terrible. Mais dont les acteurs et les actrices se relèvent tant bien que mal pour affirmer haut et fort leur désir de vivre, sans peur", notent le metteur en scène Denis Marleau et la scénographe Stéphanie Jasmin.
Si la plongée fictionnelle dans la mémoire collective est parfois douloureuse, elle est aussi un cri d’amour et de vie. Et un souffle salvateur. '"Nous resterons tristes longtemps mais pas terrifiés. Pas terrassés ".
Fiche
Titre : Terrasses
Texte : Laurent Gaudé
Mise en scène : Denis Marleau
Durée : 2h15
Distribution : Marilou Aussilloux, Sarah Cavalli Pernod, Daniel Delabesse, Charlotte Krenz, Marie-Pier Labrecque, Jocelyn Lagarrigue, Victor de Oliveira, Alice Rahimi, Emmanuel Schwartz, Monique Spaziani, Madani Tall, Yuriy Zavalnyouk et Anastasia Andrushkevich, Orlène Dabadie, Axel Ferreira, Lucile Roche, Nathanaël Rutter de la Jeune troupe de La Colline
Dates : Jusqu'au 9 juin
Lieu : La Colline - théâtre national, 15 Rue Malte Brun, 75020 Paris
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