Théâtre : quand Les Chiens de Navarre s'attaquent au réveillon de Noël, c'est terrifiant et jubilatoire
La famille : voici la nouvelle victime des Chiens de Navarre, cette troupe déjantée et sans limite, la famille qui devient un terrain de guerre sans merci. Leur nouveau spectacle, "Tout le monde ne peut pas être orphelin", actuellement à Paris, sera ensuite en tournée dans toute la France.
Les Chiens de Navarre ont pris l'habitude de dynamiter la société. Dans Les armoires normandes, l'amour prenait une veste. Dans Jusqu'à dans vos bras, la montée des extrêmes et le racisme étaient décortiqués et ridiculisés. Aujourd'hui, dans leur nouveau spectacle, Tout le monde ne peut pas être orphelin, la famille est prise pour cible, croquée comme un terrain de guerre. C'est jubilatoire. Et terrifiant.
Les enfants à table
Take Five de Dave Brubeck résonne dans la salle. Un bon vieux jazz des familles que l’on imagine écouté religieusement par le père. Les enfants ont grandi. La mère serait à la cuisine, le chapon est une tradition. C’est Noël, un immense sapin trône au salon. Nous voici invités dans l'intérieur d'une maison de bonne famille, bourgeoise mais pas guindée. Pas guindée, c’est sûr. Le public assis de chaque côté, dans une scénographie bi-frontale, va assister à l’explosion de la bien jolie cellule familiale.
Quel meilleur moment que le soir de Noël pour tout se dire, tout s'offrir ? Une jupe horrible d'une jeune créatrice dans le vent qui "habille en tissu vegan" pour maman. C’est laid et "maman, tu es coiffée comme un écureuil ébouriffé", lui dit son fils sans le moindre tact et enfin sincere. Une tronçonneuse deux temps et à injection destinée à réduire en miettes les thuyas pour papa. Et, bien sûr, cela tourne à Massacre à la tronçonneuse, quand le paternel poursuit sa progeniture en vociferant pour les decouper en morceaux. C'est l'amour chien. La vengeance du Père.
Dans cette psychanalyse trash flotte un parfum de Père noël est une ordure, accompagné d’une effluve des Deschiens. Deux de ses comédiens, Olivier Saladin et Lorella Cravotta, ont intégré Les Chiens de Navarre. Les mets du repas de Noël seront d'abord doux-amers, puis trop salés ou trop sucrés pour finir carrément nauséeux. Cest le banquet lors duquel on se dit tout, on ne cache rien, ce n'est jamais bon signe.
"Famille, je vous hais"
Les Chiens ne respectent rien. C'est une troupe de dynamiteurs du vivre ensemble."La famille, c'est aussi une histoire de violence. Comment tuer son père ou comment se débarrasser de ses enfants" : Jean-Christophe Meurisse, metteur en scène du spectacle, pose crûment et de manière jubilatoire ces éternelles questions. Et le soir de Noël, plus la tablée s’agite, plus les esprits s’échauffent, plus le drame rôde. Nous sommes chez Daumier, le caricaturiste qui racontait comment un dîner peut tourner au pugilat dès que certaines questions émergent aprés quelques coupes de champagne.
On vous l'avait bien dit. Fallait pas aborder le sujet. Les parents vont vendre la maison. Et là, tout se dérègle. Le fils craque. Tout revient à la surface : sa vie est un échec et ses parents lui laissent un monde dévasté. "Bientôt, la Bretagne sera submergée et tu ne m'as même pas appris à nager, tant tu étais occupé avec tes copains à partouzer", reproche le fils mal-aimé au père soixante-huitard. Car cette famille qui se déchire vit dans le monde qui s’effondre, celui que nous connaissons aujourd’hui. Personne ne sera épargné, il n'y aura pas de survivant, sauf la tendresse d’un père et d'une fille, d'une mère et son fils, d'un couple avant la naissance du prochain.
La tendresse et même l’amour. Justement Jacques Brel entonne "Quand on n'a que l’amour" dans une BO digne d'un juke-box des chants de Noel, où se croise Saint Preux, Bruel ou Roy Orbison arrachant des larmes avec son Crying.
Huis-clos pour un tragique réveillon
Car, attention, tout ceci ne serait que pathétique et triste, si nous n'étions pas dans l’absurde, le rigolard et le poétique. Une heure et demi de huis-clos où les sept comédiens ne quittent pas le plateau. Dans une famille, il n’y a pas d’échappatoire, sur la scène non plus. Le metteur en scène Jean-Claude Meurisse dit avoir choisi des comédiens qui ont suffisamment d’humour, de joie et de colère pour parler de la famille. C’est réussi, ils osent tout. Un décor unique, que ce salon - salle à manger -cuisine, lieu de toutes les joies et colères exprimées jusqu’à l’outrance.
Mais quand apparait Médée, historique et hystérique, Jean-Christophe Meurisse rappelle que nous sommes au théâtre et que malgré le mauvais esprit contemporain de la troupe, ces fantasmes hantent les familles depuis la nuit des temps. Tout le monde ne peut pas être orphelin est une tragédie, une tragédie enrubannée de guirlandes de Noël.
Les Chiens de Navarre : Tout le monde ne peut pas être orphelin
Jusqu'au
Ensuite, en tournée dans toute la France jusqu’en juin 2020.
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