Cet article date de plus de neuf ans.
Thomas Jolly bientôt Richard III : "Un monstre politique à l'horizon de 2017"
Henri VI, l'épopée théâtrale de 18h, mise en scène par Thomas Jolly a séduit le public bien au-delà d'Avignon. En tournée, joué en deux parties sur deux jours, le spectacle a fait salle comble. Galvanisé par l'aventure, récompensé d'un Molière, Thomas Jolly a décidé de s'attaquer à l'épisode suivant de la saga : Richard III. Un rôle monstre qu'il incarnera, foi d'animal !
Publié
Mis à jour
Temps de lecture : 8min
Loin du chant des grillons, des pelouses accueillantes et de l'ivresse d'Avignon, vivre une immersion théâtrale de 18h pouvait relever de la gageure.
Mais le Henry VI de Thomas Jolly que nous avons applaudi à sa création, déjoue tous les pronostics et soulève partout l'enthousiasme.
Son souffle épique, la générosité des acteurs, ses astuces de mise en scène, son humour très second degré et ses entractes savamment distillés rendent très vite le public accro, comme le ferait la meilleure des séries télévisées.
Et puis Thomas Jolly fait de cette page si dense et si noire de l'histoire d'Angleterre une fable d'aujourd'hui, qu'il veut poursuivre jusqu'au bout en montant Richard III. Car la folie du pouvoir de celui-ci, doit "éveiller les consciences et servir de repoussoir, à l'aune des élections présidentielles de 2017".
INTERVIEW
Culturebox : Henry VI en tournée a-t-il demandé des adaptations par rapport à sa création en Avignon l'été dernier ?
Thomas Jolly : Parce que l'on n'est pas dans le cadre d'un festival, car les gens ont aussi des vies professionnelles et familiales, on a coupé le spectacle en deux pour que ce soit plus digeste et aussi profiter des jours fériés du mois de mai. Les entractes n'ont pas bougés, j'ai rien coupé, simplement on passe une nuit chacun chez soi et on se retrouve le lendemain. Hormis qu'il n'y a pas de pelouse et que ça ne se joue pas 18h d'affilées, c'est donc le même spectacle qu'à Avignon.
Que le public vous suive sur une telle aventure de 18h, même hors festival, vous a étonné ?
Je suis émerveillé par l'année qu'on vient de passer. A Avignon il y avait le côté festival et création qui donnaient une effervescence évidemment au projet, mais que ce soit à Toulouse, à Dunkerque, à Béthune, à Poitiers, ou à Paris c'est partout la même histoire, le même enthousiasme, la même ferveur parce que ce qui se passe je pense, c'est que le public vient partager une traversée, un moment ensemble. Non seulement il y a cette oeuvre de Shakespeare qui nous éclaire sur aujourd'hui, sur ce temps de crise, sur comment ne pas céder au repli sur soi… et puis il y a la durée qui permet d'échanger, de se retrouver.
Le théâtre chez les Grecs rassemblait toute la Cité. Le théâtre de Dionysos à Athènes, c'était 17 000 places. Toute la cité était obligée d'y aller. En temps de crise les politiques font des économies mais ils ne comprennent pas que le théâtre est un ciment sociétal, un refuge de la pensée qui permet le vivre ensemble.
Je n'ai aucune routine de tout ça, car Henry VI c'est tellement long, tellement difficile, tellement compliqué, tellement fragile, qu'on ne peut en être blasé, on doit être dans le présent. J'aimerais que ma vie continue comme ça le plus longtemps possible !
Justement ce Richard III que vous êtes en train de préparer, c'était prévu ?
Il n'était pas prévu. J'inscrivais juste HenryVI dans sa totalité (le spectacle se termine par une tirade de Richard III), pour que le public puisse poursuivre pas des lectures, par exemple.
J'ai démarré un autre projet en septembre sur Sénèque. Mais je me sentais suspendu à cette histoire qui n'était pas finie. Je sentais qu'il fallait que j'aille jusqu'au bout. Aussi parce qu'il me semble urgent de mettre en scène un monstre politique à l'horizon de ce qui nous attend en 2017, les élections j'entends. Pour qu'on puisse pénétrer ce que c'est que la manipulation politique.
Il s'agit du personnage le plus noir de Shakespeare, qui joue entre l'être et le paraître, une sorte de storytelling, même s'il n'y a pas les médias à l'époque. Il est dans ce qu'il y a de plus crasse en politique. Profitant clairement d'un climat délétère, d'un moment de stupéfaction général pour se frayer un chemin. Ça il faut en parler absolument.
Vous incarnez le Richard III qui apparait à la fin d'Henry VI. Dans le prochain spectacle qui sera Richard III ?
Je l'endosse !
Et quel genre de Richard III serez-vous ?
Ce ne sera pas un ange exterminateur descendu du ciel pour mettre le chaos sur la terre. Je crois au contraire que Richard a une blessure d'amour qui le rejette de l'humanité. Et plutôt que d'être rejeté, il décide lui même de s'en exclure.
Ce qui est passionnant quand on enchaine Richard III avec Henry VI, qui n'est que l'épilogue crépusculaire d'une tétralogie, c'est que j'ai toute la matière pour démontrer que Richard III était bien le produit de la monstruosité de son époque. C'est ça qui est dit par Shakespeare. Ces guerres fratricides, ces complots vont générer une génération qui n'a que la violence comme langage. Mais il y en a un qui a un cerveau, c'est Richard.
Il n'est pas sophistiqué, il est juste profiteur d'un état d'angoisse. Les autres sont démunis. C'est ça qui va guider mon personnage.
Ce Richard III va-t-il être porté par la même troupe ?
Ceux dont les personnages ne sont pas morts ! Une dizaine. Et quatre nouveaux acteurs. Nous serons 14 au total et deux enfants. Car il y a aussi des infanticides…
Je démarre les répétitions le 10 août à Rennes au TNB, c'est là qu'aura lieu la création le 2 octobre. Puis le spectacle sera joué à l'Odéon en janvier et en tournée. Et entre octobre et décembre on reprend Henry VI, aussi en tournée.
Vous vous attaquez de nouveau à une version intégrale ?
Je pars sur le même principe que je ne veux absolument pas adapter Richard III, je veux en donner la substance totale. On sera dans quelque chose quasiment sans coupe, de 4 heures environ. Avec tous les personnages, tous les enjeux.
Mon but est de mettre en lumière, comme pour Henry VI, une œuvre qui est complexe, la rendre accessible en redonnant les éclairages nécessaires. Je veux monter Richard III artisanalement, en 3D, mon métier de metteur en scène en somme !
A propos de mise en scène, comment vivez-vous ce Molière du metteur en scène que vous venez de recevoir ?
De manière très heureuse et ça a généré énormément de messages de spectateurs. J'étais très heureux pour nous tous, pour la famille évidemment.
Je suis très honoré d'avoir reçu le Molière du metteur en scène, je ne vais pas rechigner, mais c'est très étonnant qu'on ne récompense qu'une seule personne alors que c'est tellement un travail de troupe. Mais ils ne m'en ont pas tenu rigueur ! C'est encore une surprise de ce projet qui ne cesse de m'émerveiller.
Henry VI
Le 20 juin 2015 à l'Opéra de Rouen Haute Normandie - Théâtre des Arts : 10h-Intégrale
Pendant l'été, revoir les 8 épisodes d'Henry VI sur France 2: tous les mercredi à partir du 8 juillet
Richard III
De William Shakespeare, mise en scène de Thomas Jolly, Cie LA Piccola Familia
Création le 2 octobre 2015 au TNB, théâtre national de Bretagne-Rennes
Du 6 janvier au 13 février au théâtre de l'Odéon, Paris VIe
Mais le Henry VI de Thomas Jolly que nous avons applaudi à sa création, déjoue tous les pronostics et soulève partout l'enthousiasme.
Son souffle épique, la générosité des acteurs, ses astuces de mise en scène, son humour très second degré et ses entractes savamment distillés rendent très vite le public accro, comme le ferait la meilleure des séries télévisées.
Et puis Thomas Jolly fait de cette page si dense et si noire de l'histoire d'Angleterre une fable d'aujourd'hui, qu'il veut poursuivre jusqu'au bout en montant Richard III. Car la folie du pouvoir de celui-ci, doit "éveiller les consciences et servir de repoussoir, à l'aune des élections présidentielles de 2017".
INTERVIEW
Culturebox : Henry VI en tournée a-t-il demandé des adaptations par rapport à sa création en Avignon l'été dernier ?
Thomas Jolly : Parce que l'on n'est pas dans le cadre d'un festival, car les gens ont aussi des vies professionnelles et familiales, on a coupé le spectacle en deux pour que ce soit plus digeste et aussi profiter des jours fériés du mois de mai. Les entractes n'ont pas bougés, j'ai rien coupé, simplement on passe une nuit chacun chez soi et on se retrouve le lendemain. Hormis qu'il n'y a pas de pelouse et que ça ne se joue pas 18h d'affilées, c'est donc le même spectacle qu'à Avignon.
Que le public vous suive sur une telle aventure de 18h, même hors festival, vous a étonné ?
Je suis émerveillé par l'année qu'on vient de passer. A Avignon il y avait le côté festival et création qui donnaient une effervescence évidemment au projet, mais que ce soit à Toulouse, à Dunkerque, à Béthune, à Poitiers, ou à Paris c'est partout la même histoire, le même enthousiasme, la même ferveur parce que ce qui se passe je pense, c'est que le public vient partager une traversée, un moment ensemble. Non seulement il y a cette oeuvre de Shakespeare qui nous éclaire sur aujourd'hui, sur ce temps de crise, sur comment ne pas céder au repli sur soi… et puis il y a la durée qui permet d'échanger, de se retrouver.
Le théâtre chez les Grecs rassemblait toute la Cité. Le théâtre de Dionysos à Athènes, c'était 17 000 places. Toute la cité était obligée d'y aller. En temps de crise les politiques font des économies mais ils ne comprennent pas que le théâtre est un ciment sociétal, un refuge de la pensée qui permet le vivre ensemble.
Je n'ai aucune routine de tout ça, car Henry VI c'est tellement long, tellement difficile, tellement compliqué, tellement fragile, qu'on ne peut en être blasé, on doit être dans le présent. J'aimerais que ma vie continue comme ça le plus longtemps possible !
Justement ce Richard III que vous êtes en train de préparer, c'était prévu ?
Il n'était pas prévu. J'inscrivais juste HenryVI dans sa totalité (le spectacle se termine par une tirade de Richard III), pour que le public puisse poursuivre pas des lectures, par exemple.
J'ai démarré un autre projet en septembre sur Sénèque. Mais je me sentais suspendu à cette histoire qui n'était pas finie. Je sentais qu'il fallait que j'aille jusqu'au bout. Aussi parce qu'il me semble urgent de mettre en scène un monstre politique à l'horizon de ce qui nous attend en 2017, les élections j'entends. Pour qu'on puisse pénétrer ce que c'est que la manipulation politique.
Il s'agit du personnage le plus noir de Shakespeare, qui joue entre l'être et le paraître, une sorte de storytelling, même s'il n'y a pas les médias à l'époque. Il est dans ce qu'il y a de plus crasse en politique. Profitant clairement d'un climat délétère, d'un moment de stupéfaction général pour se frayer un chemin. Ça il faut en parler absolument.
Vous incarnez le Richard III qui apparait à la fin d'Henry VI. Dans le prochain spectacle qui sera Richard III ?
Je l'endosse !
Et quel genre de Richard III serez-vous ?
Ce ne sera pas un ange exterminateur descendu du ciel pour mettre le chaos sur la terre. Je crois au contraire que Richard a une blessure d'amour qui le rejette de l'humanité. Et plutôt que d'être rejeté, il décide lui même de s'en exclure.
Ce qui est passionnant quand on enchaine Richard III avec Henry VI, qui n'est que l'épilogue crépusculaire d'une tétralogie, c'est que j'ai toute la matière pour démontrer que Richard III était bien le produit de la monstruosité de son époque. C'est ça qui est dit par Shakespeare. Ces guerres fratricides, ces complots vont générer une génération qui n'a que la violence comme langage. Mais il y en a un qui a un cerveau, c'est Richard.
Il n'est pas sophistiqué, il est juste profiteur d'un état d'angoisse. Les autres sont démunis. C'est ça qui va guider mon personnage.
Ce Richard III va-t-il être porté par la même troupe ?
Ceux dont les personnages ne sont pas morts ! Une dizaine. Et quatre nouveaux acteurs. Nous serons 14 au total et deux enfants. Car il y a aussi des infanticides…
Je démarre les répétitions le 10 août à Rennes au TNB, c'est là qu'aura lieu la création le 2 octobre. Puis le spectacle sera joué à l'Odéon en janvier et en tournée. Et entre octobre et décembre on reprend Henry VI, aussi en tournée.
Vous vous attaquez de nouveau à une version intégrale ?
Je pars sur le même principe que je ne veux absolument pas adapter Richard III, je veux en donner la substance totale. On sera dans quelque chose quasiment sans coupe, de 4 heures environ. Avec tous les personnages, tous les enjeux.
Mon but est de mettre en lumière, comme pour Henry VI, une œuvre qui est complexe, la rendre accessible en redonnant les éclairages nécessaires. Je veux monter Richard III artisanalement, en 3D, mon métier de metteur en scène en somme !
A propos de mise en scène, comment vivez-vous ce Molière du metteur en scène que vous venez de recevoir ?
De manière très heureuse et ça a généré énormément de messages de spectateurs. J'étais très heureux pour nous tous, pour la famille évidemment.
Je suis très honoré d'avoir reçu le Molière du metteur en scène, je ne vais pas rechigner, mais c'est très étonnant qu'on ne récompense qu'une seule personne alors que c'est tellement un travail de troupe. Mais ils ne m'en ont pas tenu rigueur ! C'est encore une surprise de ce projet qui ne cesse de m'émerveiller.
Henry VI
Le 20 juin 2015 à l'Opéra de Rouen Haute Normandie - Théâtre des Arts : 10h-Intégrale
Pendant l'été, revoir les 8 épisodes d'Henry VI sur France 2: tous les mercredi à partir du 8 juillet
Richard III
De William Shakespeare, mise en scène de Thomas Jolly, Cie LA Piccola Familia
Création le 2 octobre 2015 au TNB, théâtre national de Bretagne-Rennes
Du 6 janvier au 13 février au théâtre de l'Odéon, Paris VIe
Commentaires
Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.