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Un bel hommage à Bob Dylan par la jeune garde de la Comédie-Française

"Comme une pierre qui…" met en scène la séance d’enregistrement, le 16 juin 1965, par Bob Dylan et ses musiciens, de "Like a rolling stone" : "Au bout de la sixième minute, le destin du rock s’en trouve définitivement changé" (Greil Marcus).
Article rédigé par franceinfo - Bertrand Renard
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 6min
Un hommage à Bob Dylan dans « Comme une pierre qui… » 
 (Comédie-Française)

Une idée inspirée par le livre de Greil Marcus

On doit l’idée du spectacle au tandem Marie Rémond-Sébastien Pouderoux, lui, un des plus récents pensionnaires de la Comédie-Française. Sollicités par Eric Ruf pour ce Studio-Théâtre qui devrait retrouver une vocation expérimentale qu’il n’a d’ailleurs jamais vraiment perdue, les deux complice, fans, tous deux, de Bob Dylan, trouvent l’idée motrice de « Comme une pierre qui… » dans le livre de Greil Marcus : Marcus, grand connaisseur de la musique rock et des cultures américaines des sixties, consacre son texte à cette séance aussi jubilatoire que chaotique où un Dylan de 24 ans, quasi autiste, réunit des musiciens brillants mais largués autour du projet obscur de « Like a rolling stone », au texte magnifique mais tout aussi obscur (et qui le restera).

Le producteur, Tom Wilson (inénarrable et magnifique Gilles David), vient du jazz, a travaillé avec Coltrane et Sun Râ, méprise ces petits folkeux jusqu’à ce qu’il s’attache à Robert Zimmermann, gringalet qui lui semble (bien vu !) avoir une autre étoffe. 

"Une page capitale de la musique contemporaine"

Le décor est planté. Dans ce studio va se jouer une aventure humaine. Six hommes qui se connaissent à peine écrivent (et incarnent) devant nous une page capitale (dixit Marcus) de la musique contemporaine. C’est la première belle et simple idée du spectacle : des caractères, avec leurs joies, leurs peines, leurs incompréhensions, leurs conflits, leurs angoisses, leurs satisfactions, les incidents et les réussites, d’autant plus drôles (on rit souvent) et émouvants qu’aucun d’entre eux (peut-être Dylan, et encore !) n’a conscience le moins du monde de participer à un enregistrement légendaire.

Mike Bloomfield, le guitariste, improvisé bras droit de Dylan (Stéphane Varupenne, superbe, se révèle de plus en plus comme un des piliers de la jeune garde du Français), donne aux autres ce genre d’indication : « Tu fais deux fois fa deux fois sol –Mais c’est binaire ? Ternaire ? – Oui, oui… Euh !... Comme « La Bamba » en fait, mais en plus chaloupé » !

Au coeur de l'acte créatif

La deuxième belle idée, qui prolonge la première, c’est de nous montrer la création, l’acte créatif, dans ses accidents, ses fulgurances, ses doutes, ses recherches, ses intuitions, là où la frontière est mince entre le pur miracle et le grand n’importe quoi et où, au final, la catastrophe attendue se transforme en pur chef-d’œuvre. Bien sûr c’est le génial Dylan qui est devant nous mais tout ce qu’a écrit Dylan n’est pas forcément chef-d’œuvre. On pense d’ailleurs à la scène, suffocante, de l’"Amadeus" de Forman où un Mozart à l’agonie arrache de ses tripes son "Requiem" devant un Salieri médusé quand, au texte gentiment insipide de l’apprenti parolier Al Kooper, Dylan répond par l’un des siens, vingt pages fulgurantes (et Sébastien Pouderoux est fulgurant lui aussi dans sa re-création du chanteur-poète).

La mise en scène fluide de Marie Rémond

Marie Rémond déploie une autre qualité : dans le petit espace où chacun est à sa place –au piano, à la batterie, à l’orgue, avec au centre Broomfield, Dylan, et leurs guitares-, elle dessine une mise en scène fluide, jamais statique ni figée, où circulent vraiment la vie et l’énergie d’un groupe musical. On apprendra d’ailleurs au passage comment jouer de l’harmonica en fumant une cigarette…

D'excellents comédiens musiciens

On a cité David, Varupenne, Pouderoux, on y ajoutera le jeune Christophe  Montenez, formidable en Al Kooper, le petit guitariste qui a obtenu le droit d’assister à l’enregistrement et qui se retrouve (en s’imposant au bluff) titulaire de la partie d’orgue, éperdu d’admiration pour Bob autant que tétanisé d’être là, à la fois avec ses camarades et les regardant faire. Gabriel Tur (Bobby Gregg) et Hugues Duchêne (élève-comédien qui ne devrait pas le rester longtemps en Paul Griffin) sont très bien aussi.

Nous avons donné le nom des musiciens originels pour le plaisir et l’information des Dylanolâtres… que nous ne sommes absolument pas ! On avait de ce fait été très désarçonné par « I’m not there », le film de Todd Haynes où Dylan était joué successivement par six acteurs, dont Cate Blanchett et Charlotte Gainsbourg : nous connaissons des inconditionnels de Dylan qui avaient adoré, quant à nous, nous n’avions rien compris. C’est dire que le plaisir que nous avons pris à "Comme une pierre qui…" peut être autant partagé par les amoureux de Dylan que par ceux qui ignorent tout de lui : autre réussite à mettre au crédit du tandem Rémond-Pouderoux et de leurs acteurs-(étonnants) musiciens. Car, à travers cette histoire, c’est aussi celle d’une Amérique bouillonnante et mythique qui nous est contée, dont nous gardons tous l’irrépressible nostalgie.

"Comme une pierre qui…" au Studio-Théâtre de la Comédie-Française
Jusqu’au 25 octobre 
Spectacle de Marie Rémond et Sébastien Pouderoux d’après le livre de Greil Marcus, « Like a Rolling Stone, Bob Dylan à la croisée des chemins ». 
99 rue de Rivoli, Carrousel du Louvre, 75001 Paris
01 44 58 98 58


Attention : représentations supplémentaires 
- le vendredi 9 octobre à 20h30
- le mercredi 14 octobre à 20h30
- le vendredi 23 octobre à 20h30




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