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Une étude évalue l'émotion suscitée par Shakespeare par rapport à "Game of Throne"

Abreuvé d'images extrêmes, le monde contemporain peut-il encore être choqué par la violence d'une pièce de William Shakespeare, 400 ans après ? Pour le savoir, la Royal Shakespeare Company a lancé une expérience scientifique se basant sur ce qui est considérée comme sa première pièce, la plus "gore" de son répertoire : "Titus Andronicus".
Article rédigé par franceinfo - franceinfo Culture (avec AFP)
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Tableau identifié à un portrait de William Shakespeare (1564-1616) 
 (Leemage)

Violée et mutilée

L'étude menée par la prestigieuse troupe de théâtre britannique consiste à prendre littéralement le pouls du public grâce à des bracelets connectés pour mesurer son degré d'émotion lors d'une représentation de "Titus Andronicus" (écrite entre 1588 et 1593), de loin la plus sanglante du dramaturge qui met en scène un général romain imaginaire, Titus, embarqué dans une histoire de vengeance qui vire rapidement au carnage.

Dans une des scènes, Lavinia, la fille de Titus, baigne dans son sang après avoir été violée et qu'on lui ait coupé les mains et la langue. La violence est telle que régulièrement des spectateurs s'évanouissent ou sont pris de nausées, selon la Royal Shakespeare Company qui présente la pièce jusqu'au 2 septembre à Stratford-upon-Avon, la ville natale du poète.

"Traditionnellement la pièce divise à cause de sa violence, moi-même j'ai ressenti un effet viscéral lorsque je l'ai vue pour la première fois", explique à l'AFP Becky Loftus, chargée des relations publiques à la Royal Shakespeare Company et qui coordonne l'étude en cours.

L'idée de départ est de vérifier si des années de visionnage de séries
TV et de films ont émoussé notre capacité à tressaillir devant une scène violente. "Sommes-nous immunisés maintenant à cause de (la série TV) "Game of Thrones" ou (des films du réalisateur Quentin) Tarantino ?", s'interroge Becky Loftus.

"Jusque-là, on recueillait le ressenti grâce à des questionnaires. Mais on n'avait encore jamais mesuré l'impact émotionnel sur le rythme cardiaque des spectateurs. "Titus Andronicus" nous paraissait comme la pièce idoine pour le faire", ajoute-t-elle.

Le théâtre plus fort que le cinéma

Les résultats de l'étude ne seront connus qu'en fin d'année mais les premières analyses montrent que le cœur du spectateur s'emballe dès qu'il perçoit qu'une scène de violence se profile à l'horizon. "Le pic intervient lorsqu'on est confronté à une situation de ‘fight or flight’
(se battre ou s'enfuir), c'est là où l'adrénaline est la plus forte", note Pippa Bailey de l'institut de recherche Ipsos Mori qui participe à l'étude.

Outre l'enregistrement de leur rythme cardiaque, les spectateurs cobayes de l'expérience participent également à la sortie de la représentation à un entretien où on analyse à la fois leurs mots et l'intonation de leur voix.

La plupart des spectateurs interrogés par l'AFP estiment que les émotions sont plus fortes au théâtre que devant un écran. "Tous vos sens sont sollicités. Pas seulement la vue et l'ouïe mais aussi l'odorat. C'est juste plus réel", souligne Sharon Faulkner, un scientifique de 60 ans qui s'est dit "époustouflé par la puissance de la pièce" qu'il découvrait.

"J'ai déjà vu des pièces de théâtre diffusées en direct dans une salle de cinéma et ce n'est pas pareil. On ressent une connexion beaucoup plus forte lorsqu'on se trouve dans la même salle que les comédiens", abonde Jamie Megson, un professeur d'anglais de 27 ans.

Selon l'enseignant, ce ne sont pas les séquences d'extrême violence qui font battre le cœur le plus vite mais l'interaction entre les personnages, comme lorsque l'oncle de Lavinia l'amène à son père après qu'elle a été mutilée.

"C'est le jeu d'acteurs qui va me bousculer, m'émouvoir. L'émotion qu'ils dégagent est beaucoup plus intense que le gore et les éléments choquants de la pièce", assure-t-il.

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