Une "Mouette" sobre et fidèle à l'esprit de Tchekhov au Théâtre des Abbesses
"On ne peut se passer de théâtre !", déclare avec conviction Sorine au début de la pièce. Une réplique qui résume parfaitement le propos de Tchekhov. Durant deux heures, les spectateurs feront face à ces personnages passionnés ou nostalgiques qui se débattent avec élégance contre les angoisses de la création et de l'amour.
La passion dévorante pour le théâtre
Sur le plateau, à l’avant-scène, un petit théâtre fait de billots de bois clair. C’est un soir d’été dans la campagne russe et Nina va interpréter le texte de Treplev, fils d’une grande actrice. Projetée sur un grand écran au fond du plateau, une peinture abstraite évolue au rythme des saisons et des lumières de ce bord de lac. C’est une maison bourgeoise et paisible où une famille et des amis sont rassemblés. Cela ressemblerait presque à un petit paradis si la passion de l’art ne brûlait en chacun ou presque. On y discute du passé, des espoirs de jeunesse qui n'ont pas abouti, du succès, et aussi des récoltes d'orge. Mais l'art ressurgit toujours, en douce, comme quand Sorine déclare désabusé que s’il avait été écrivain "même inconnu, la vie aurait été belle". Mais Il est devenu conseiller d'état.
Chez Tchekhov, l'âme humaine est décortiquée à l'ombre des grands arbres et des panoramas familiers. Dans La Mouette la nostalgie côtoie la tragédie, mais jamais dans la mise en scène de Brigitte Jaques-Wajman, l’élégance et la désinvolture ne quittent vraiment les comédiens.
La ronde des amours contrariés
Dans La Mouette chacun aime un peu, passionnément, à la folie mais n’est pas toujours aimé en retour. Macha aime Treplev mais Treplev aime Nina. Nina n’aime plus Treplev et tombe en amour pour Trigorine, Trigorine désire un peu toutes les femmes. L’instituteur, fou de Macha, se mariera avec elle mais jamais elle n’éprouvera de sentiments pour lui. Mal aimés ou mal mariés. Douleur des passions.
"Et que d’amour", dit le Docteur Dorn, célibataire convaincu, pour qui les jeux de l'amour sont dangereux. Cette ronde sentimentale est le moteur du drame, même si la légèreté flotte encore dans la maison. Les comédiens interprètent ces relations passionnelles sans jamais tomber dans l'excès, fidèle à l'esprit de Tchekhov.
La justesse il en question dans le texte, si difficile à trouver sur scène. Treplev est sévère avec Nina quand elle devient actrice: (...) "elle jouait brutalement, sans goût, elle hurlait, elle gesticulait. Il lui arrivait de pousser un cri, de mourir avec talent, mais ce n’était que de rares instants." Brigitte Jaques-Wajman qui a incarné Nina dans La Mouette sous la direction d'Antoine Vitez à l'âge de 20 ans, a bien retenu la leçon.
Réinventer la mise en scène
Anton Tchekhov résumait ainsi sa pièce : "La Mouette est une comédie avec trois rôles de femmes et six rôles d’hommes. Quatre actes, un paysage (vue sur un lac), beaucoup de discours sur la littérature, peu d’action, cinq tonnes d’amour". En 1896, sa pièce fut un échec retentissant tant il s’éloignait des canons de l’époque. Dans la pièce il fait de Treplev qui veut dynamiter le classicisme au théâtre, son porte-voix. Un jeune dramaturge dont la première représentation est accueillie par un silence gêné ou un dédain narquois. L’histoire éternelle des nouvelles générations qui ont raison trop tôt et en paient le prix fort.
Brigitte Jaques-Wajman connait son histoire du théâtre. Qu'elle monte Racine, Molière ou Corneille, sa mise en scène est toujours au service du texte. Cette fois-ci encore elle a choisi la sobriété. Rien dans la scénographie ne parasite cette langue simple et précise, ce scénario au cordeau, ce spleen qui annonce la tragédie.
Au Théâtre des Abbesses, Paris 18
31, Rue des Abbesses 75018 Paris, France
0142742277
Mise en scène Brigitte Jaques-Wajeman
Texte français Gérard Wajcman
avec Pauline Bolcatto Raphaël Naasz Bertrand Pazos Raphaèle Bouchard Sophie Daull Timothée Lepeltier Fabien Orcier Pascal Bekkar et en alternance Vincent Debost Luc Tremblais Hélène Bressiant Sophie de Fürst
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