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Une "Passion simple" d'Annie Ernaux, au soleil brûlant d’Avignon

Entre récit et jeu, la comédienne Marie Matheron fait magnifiquement entendre la langue d'Annie Ernaux dans "Passion simple", au théâtre Le Petit Louvre. Le journal d’une passion violente, obsédante, annihilante
Article rédigé par Sophie Jouve
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 3min
Marie Matheron dans "Passion simple" d'Annie Ernaux
 (Benoite Fanton)

Marie Matheron concrétise cette folle passion par une multitude de petits détails

« A partir du mois de septembre l’année dernière, je n’ai plus rien fait d’autre qu’attendre un homme : qu’il me téléphone et qu’il vienne chez moi. »

C’est une passion obsessionnelle, indifférente au monde, que s’approprie Marie Matheron avec une finesse extrême. Femme en suspend, "l’esprit constamment occupé par l’objet du désir", "le besoin d’user le temps entre deux rencontres" avec A, dont on sait seulement qu’il est étranger.

Sous la direction sobre et attentive de Jeanne Champagne, fidèle au texte d’Annie Ernaux, Marie Matheron, blonde, fine, le regard toujours légèrement embué, capte l’attention du public, réussit à concrétiser cette folle passion par une multitude de petits détails qui passent autant par le corps que par les mots. "Les seules actions qui engageaient mon désir avaient toutes un lien avec cet homme".

  (Benoite Fanton)

"L'écriture en train de se faire"


Par petites touche le portrait de A s’esquisse : un homme qui règne en maître absolu de son temps, annonçant souvent à la dernière minute sa venue, qui boit selon l’usage dans les pays de l’est, qui aime les grosses cylindrées et Santa Barbara. Bref un mufle et un rustre dont Annie Ernaux ne se demande même pas comment elle peut l’avoir dans la peau, si "Heureuse d’être unie dans un début d’abjection".

"Ce qui est très difficile c’est de ne pas raconter quelque chose. Il faut se laisser embarquer, envahir par le texte qui arrive", nous confie Marie Matheron après la représentation.

"Il est apparu de manière évidente dans le montage du texte, fait par Jeanne Champagne, que l’écriture en train de se faire était primordiale", poursuit-elle. "Pour moi actrice, c’est un moteur parce que c’est ce qui permet à la fois une forme de distance et de s’embarquer. Du coup c’est totalement actif, ce qui permet de trouver la joie. Si je n’étais que dans le revivre ce serait l’enfer ! Annie Ernaux n’écrit pas une histoire, c’est comme une chronologie c’est comme des fragments, des blocs de mémoire qui surgissent, comme si elle jetait les dès en fait. Et l’incarnation est à la fois dans des moments où il y aurait presque identification à l’événement et puis on revient à l’écriture ».

"J’ai rendu en mots ce que son existence à lui m’avait apportée. Une sorte de don renversé". La dernière phrase du spectacle est très belle. Elle est à l’image du texte, riche, sensible et fort, de la mise en scène impliquée et subtile, du jeu de Marie Matheron, comédienne d’une remarquable justesse. Le public aime beaucoup, avec raison. 


"Passion simple" de Annie Ernaux au Théâtre Le Petit Louvre (durée : 1h05)
Mise en scène de Jeanne Champagne, avec Marie Matheron
23 rue Saint-Agricole, Avignon
Du 4 au 26 juillet à 12h30
Réservation : 04 32 76 02 79


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