Vincent Dedienne : "Mon Avignon à moi"
Avignon, 17h30, l’heure parfaite, passée la grosse chaleur. Le patio d’hôtel que Vincent Dedienne a choisi comme lieu du rendez-vous est un de ces havres de paix, comme il en existe ici, pourtant tout près de l’agitation du festival. A 19h35 débute le spectacle (« S’il se passe quelque chose », dont nous vous parlerons en détail dans quelques jours), mais l’homme est visiblement détendu. Souriant toujours, extrêmement disponible, ravi notamment d’évoquer son Avignon.
C’est votre premier Avignon, cette année, comme comédien. Et comme spectateur ?
Je suis venu beaucoup à Avignon. La première fois, je venais de passer mon bac, et c’était l’année test d’un programme de l’Education nationale je pense, qui s’appelait « l’école du spectateur ». On emmenait plusieurs classes de bacheliers voir une dizaine de spectacles du In - et oui - puis on leur faisait rencontrer les artistes ! C’était fou ! On était quinze, le matin on avait rendez-vous avec Denis Lavant, l’après-midi avec Pippo Delbono, ensuite avec le traducteur d’une pièce, on voyait les spectacles, les répétitions générales… J’ai découvert Avignon comme ça : j’ai visité la Cour d’Honneur avec Philippe Avron, c’était… (il en perd la voix). En plus, c’est là que je suis tombé amoureux pour la première fois de ma vie, donc Avignon, c’est… bon, c’est très fort.
Et vous êtes revenu…
Après, j’ai grandi un peu, je suis devenu comédien et les expériences à Avignon ont été plus difficiles. Je me suis rendu compte à quel point le fossé était dur et âpre entre In et Off, à quel point des compagnies y jouaient leur vie. C’est parfois très hostile, il y a des chapelles : des gens pour qui c’est dégradant de jouer dans le Off et à l’inverse des gens pour qui c’est prétentieux et élitiste de jouer dans le In. C’est un peu de l’ignorance de chaque côté. C’est fou : il y a des gens pour qui c’est une très mauvaise nouvelle qu’il y ait un bon spectacle parce que c’est un danger pour eux ! Alors qu’Avignon serait l’occasion que tout le monde se réconcilie. Donc ça a été plus douloureux pour moi et depuis je viens en sauts de puce pour voir trois-quatre spectacles et je repars.
Là, maintenant, jouer dans le Off… C’est le début : et je suis mois décontracté que quand j’étais petit, je suis un peu intimidé. C’est quand-même un gros bazar ce festival : j’ai une appréhension, oui.
Que faites-vous à Avignon en dehors du spectacle ?
Déjà je réside au Pontet, à vingt minutes de vélo. Je ne voulais pas être intra-muros, parce que c’est une cocotte-minute et j’ai l’impression qu’on est tous des grains de maïs sur le point de nous transformer en pop corn (rires), donc je me suis mis en dehors de la cocotte-minute. Pendant cette première semaine, je dois préserver mon énergie, comme je ne suis pas sportif, j’ai la voix un peu fragile, il faut que je prenne un bon élan. Après j’irai voir des spectacles. Pour l’instant, je me réveille, je bois beaucoup de café et je me prépare pour le soir. Et puis à Avignon, on voit beaucoup de gens qu’on connaît… sans connaître et ceux qu’on s’évertue à fuir tout le reste de l’année dans les autres villes et qui sont là. C’est une sorte d’open space à ciel ouvert, avec beaucoup de collègues : ceux qu’on aime beaucoup et ceux qu’on aime moins et qu’on croise le plus…
Y a-t-il beaucoup d’hypocrisie à Avignon ?
Quand on prend un tract et on dit je viendrai, il y a une chance sur une pour qu’on n’y aille pas. Il y a de l’hypocrisie à tous les coins de rue. Mais bon, comme partout !
Mais il y a aussi un enthousiasme sans cesse renouvelé pour le théâtre par des gens qui viennent de partout…
Oui ! C’est réconfortant. Et c’est un bonne nouvelle de voir que ce ne sont pas que des profs d’allemand à la retraite ou des profs d’option théâtre (rires). Il y a vraiment des publics très différents, moi aussi je suis un peu soufflé. Evidemment, ce serait formidable que ces gens-là boostent un peu leur curiosité. Que ceux qui viennent à Avignon voir des stars aient la curiosité d’aller voir aussi un spectacle de marionnette à 15h… Avignon est vraiment une école du spectateur et il faudrait parfois qu’il y ait des profs, ou en tout cas des guides. Avignon offre une richesse à portée de main, profitons-en.
Jouer dans le In, ce serait un rêve pour vous ?
Ah oui, carrément ! D’abord j’adore cette Cour d’honneur du Palais des papes, je frissonne à chaque fois que j’y entre, il y a des fantômes qui ne sont nulle part ailleurs. Puis je trouve qu’Olivier Py fait un super boulot depuis trois ans. Et j’aime beaucoup les écritures contemporaines… J’adore la carrière Boulbon qui est un lieu aussi qui m’impressionne, donc j’aimerais y jouer… Oui, ça doit être une fête.
Vous jouez dans un théâtre, Le Chapeau d’Ebène, qui est un peu éloigné par rapport au centre d’Avignon, c’est voulu ?
Quand on m’a demandé en novembre si je voulais faire Avignon, j’ai refusé parce que je comptais me reposer et partir en vacances avec mon meilleur ami. Mais quand trois mois plus tard celui-ci m’a dit qu’il ferait Avignon (!), il n’y avait plus qu’un créneau au théâtre Le Chapeau d’Ebène : c’était la dernière possibilité pour que je puisse passer le mois de juillet avec mon meilleur ami (rires) ! Et je suis bien content de jouer là d’abord parce que je suis très bien entouré : on y programme aussi « Krafff » que j’ai déjà vu quatre fois, un duo de danse entre un danseur contemporain que j’adore et une marionnette géante de papier kraft qui est manipulée par cinq comédiens ! Et, après moi, il y a Yann Collette, que j’aime vraiment beaucoup. Et le lieu est très beau, c’est une ancienne chapelle. Le fait qu’il soit éloigné permet d’avoir un sass de décompression en sortant de l’étuve du centre… Les gens certes ne passent pas devant par hasard, mais à Avignon les gens préparent leurs plannings.
Cela vous arrange de ne pas être programmé dans des théâtres catalogués humour ?
Oui, parce que j’aime bien que les salles soient mélangées. J’aime l’idée que les gens viennent, parce que je les ai fait rire à Canal + et voilà, je suis une tête connue de la télé, mais qu’ils repartent un peu avec autre chose. Quand on vient seulement pour rigoler, c’est un peu perdu d’avance. Parce qu’on ne rit que parce qu’on est surpris.
« S’il se passse quelque chose » de et avec Vincent Dedienne
Chapeau d’Ebène Théâtre, au Off d’Avignon
Jusqu’au 30 juillet 2016 à 19h35
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