Jacques Chancel, la voix et les yeux
L'animateur et écrivain, mort à l'âge de 86 ans, reste très présent dans les mémoires. Notre journaliste Hervé Brusini lui rend hommage.
Ce sont quelques moments privilégiés. Des souvenirs d’une émission de radio ou de télé que l’on peut partager avec quantité d’amis, ou de voisins. Les gens de médias qui restent autant dans les mémoires sont rares. Jacques Chancel est assurément l’un d’eux. Il s’en est allé à l’âge de 86 ans.
Quel est donc le secret de cet homme ? Impossible de le croiser sans un mot de sa part ou un coup d’œil complice. Il était plus que courtois, il se voulait proche. Impossible alors de demeurer de marbre face aux deux atouts maîtres de Jacques Chancel : la voix et les yeux.
Chuchotements et confidences
La voix était d’abord celle d’un souffle. La vibration sifflante des cordes vocales de Chancel faisait entendre la respiration de leur propriétaire. D’aucuns la qualifiaient de voix de confesseur… En tout cas, l’exercice quotidien de l’émission "Radioscopie" sur France Inter aurait été inconcevable sans cet organe. Quand il chuchotait au plus bas possible de son registre, Jacques Chancel encourageait, provoquait la confidence. L’intime s’exposait ainsi calmement.
L’interview n’était plus ce rapport de force où l’on extirpe l’inavouable, l’interview devenait un soliloque où l’autre se raconte face à celui qui renvoie comme un miroir, celui qui réfléchit une image qui forcément interroge. Artistes, écrivains, scientifiques, athlètes, parmi les plus célèbres, tous ont accepté ce dialogue, parce qu’ils se sentaient respectés.
Un homme du temps long
On a souvent moqué la langue employée par Jacques Chancel et surtout le célèbre "Et Dieu dans tout ça ?" qui venait ponctuer l’entretien. En fait, il y avait là comme une logique profonde à ce qui était en train de se passer. La fameuse question existentielle s’inscrivait dans cet ordre du discours. Ils furent d’ailleurs rarissimes ceux qui refusèrent le jeu de l’interrogation quasi divine.
Quand le générique de "Radioscopie", à la fois réjouissant et précieux, résonnait au milieu de l’après-midi, on savait que la trotteuse allait commencer à ralentir. A mesure que les voix échangeaient, le temps s’étirait. Jacques Chancel était un homme du temps long.
L'imprécision en horreur
Pour autant, il y avait aussi le coup d’œil. Du genre qui voit tout parce que branché sur une curiosité éclectique. Le Tour de France était l’un de ses amours inattendus pour celui qui voudrait en faire l’incarnation exclusive de la culture. Aux yeux de Chancel, la Grande Boucle représentait aussi un fait de notre culture, avec ses grandeurs et ses petitesses. Gare à vous si vous n’étiez pas strictement au fait des choses de la petite reine.
Chancel avait horreur de l’imprécision, du confus. Dans les années 1970, Antenne 2 a été son champ d’exercice absolu. Il était l’ombre portée du président de la chaîne, Marcel Jullian, fantasque touche-à-tout s’il en est. L’alchimie de ces deux-là se sentait dans les programmes, les coups d’audace et jusqu’au générique de la seconde chaîne signé Folon.
Amical et visionnaire
Dans les yeux de Chancel, il y avait le tête-à-tête mais aussi la bande des amis. Ceux de l’émission "Le Grand Echiquier" par exemple, qui mêlait Raymond Devos et Ivry Gitlis, Maurice André et Guy Béart… On retrouvait avec plaisir ces personnalités comme des gens qui parlent et jouent à l’arrière d’un bon resto.
Le face-à-face, l’exercice privilégié de Chancel, a été à nouveau mis en scène dans l’émission "Lignes de mire", sur France 3. Les médias y étaient convoqués pour s’expliquer. Le couple intervieweur/interviewé était comme scellé au beau milieu d’un ample décor. Le désarroi médiatique transcrit en images avant l’heure. Les yeux de Jacques Chancel pouvaient aussi être visionnaires.
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