Vacances : "Non, on n'est pas tous égaux en maillot"
Loin des tailleurs, costumes ou blouses de travail, les différences sociales s'estompent-elles ? Interview du philosophe du corps Bernard Andrieu.
"En maillot, on est tous égaux." Loin du bureau et sans carte de visite, qu'est-ce qui distingue une directrice financière du CAC 40 d'une chercheuse, un artisan d'un comptable ou d'un illustrateur ? L'égalité se cache-t-elle entre le sable et les UV ? Alors que bon nombre de Français sont désormais en vacances, franceinfo a posé la question à Bernard Andrieu, philosophe, professeur d'épistémologie du corps et des pratiques corporelles à la faculté du sport de Nancy, et auteur en 2008 de Bronzage, une petite histoire du soleil et de la peau (CNRS Editions).
Francetv info : Est-on "tous égaux en maillot" ?
Bernard Andrieu : Non, pas du tout ! Mais les inégalités à la plage ne sont pas uniquement liées au milieu économique. La plage, c'est la mise en scène du corps public par rapport au corps privé : il y a ce que je montre, ce que je veux qu'on voit, et ce que je veux cacher. Et cela répond à des habitudes et à une perception de son corps développées avant même la plage.
A quels moments peut-on faire des distinctions ?
Dès l'arrivée sur la plage. C'est Jean-Didier Urbain [sociologue, auteur d'Au soleil, (Payot, 2014)] qui pose la question de l'installation de la serviette. Certains vont délimiter un véritable territoire sur la plage, d'autres pas. Là se situe la différence entre les sédentaires et les nomades de la plage, sachant que les sédentaires sont plus dans l'exposition au soleil et l'exposition aux autres.
De même, il existe une autre différence sociale à la sortie de la plage, entre ceux qui vont se doucher à la douche publique pour se laver, pour qui cela est synonyme de propreté, et ceux qui vont simplement se rincer et qui se laveront chez eux. Pour ces derniers, la douche est davantage synonyme de bien-être. Même après la plage, il y a une inégalité entre ceux qui ont les moyens de s'acheter des produits après-solaires et les autres.
Quelles sont les inégalités économiques à la plage ?
Le pouvoir d'achat divise les vacanciers qui ont ou n'ont pas accès à des produits solaires de bonne qualité. Il détermine aussi l'accent mis, ou non, sur des maillots de bain, des serviettes et des paréos de marques plus ou moins prestigieuses. Tandis que le milieu socioprofessionnel opère une distinction entre ceux qui ont accès à l'information sur les dangers du soleil et ceux qui ne l'ont pas.
De plus, vous pouvez aussi distinguer les vacanciers qui ont eu accès à des régimes ou à des soins particuliers pour travailler leur apparence. A contrario, les gens qui vont à la plage pour la première fois par exemple valorisent l'expérience de la mer, de la plage, avant le regard des autres.
Y a-t-il une sociologie du bronzage ?
Oui. En fait, la question est de savoir si on a un rapport laborieux au soleil ou un rapport esthétique, et cela se voit notamment aux marques de bronzage. C'est avec elles que l'on en reconnaît la pratique, et qu'on peut éventuellement déduire une origine socioprofessionnelle du vacancier. L'ouvrier qui travaille dehors en tee-shirt toute la journée aura des marques en arrivant à la plage, contrairement à quelqu'un comme moi qui reste dans un bureau. De même, le salarié urbain qui prend des bains de soleil à la pause déjeuner n'a pas les mêmes marques, ni la même préparation de la peau qu'un habitant du sud de la France qui va à la plage tous les week-ends depuis quatre mois.
Le bronzage constitue aussi un marqueur social entre celui qui a les moyens de partir et celui qui ne les a pas. Il y a une différence entre les gens qui ont trois jours de vacances et ceux qui ont trois semaines, entre ceux qui restent à Paris plages et ceux qui partent trois jours. Du coup, certains s'exposent de 14 heures à 18 heures en plein soleil et "consomment le soleil". Ils veulent les bénéfices d'un bronzage immédiat et privilégient le rapport esthétique au discours sur la santé.
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