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Cinq questions sur les retraites-chapeaux pour comprendre la polémique autour de Carlos Ghosn

L'ancien PDG de Renault-Nissan devait bénéficier de 765 000 euros annuels de ce qui est aussi appelé "prestations supplémentaires", selon le cabinet de conseil aux actionnaires Proxinvest. Mais le conseil d'administration de l'entreprise s'est opposé au versement de cette rente.

Article rédigé par Anne Brigaudeau
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 5 min
L'ancien PDG de Renault-Nissan Carlos Ghosn quitte le bureau de son avocat à Tokyo, le 6 mars 2019. (KAZUHIRO NOGI / AFP)

Quelque 765 000 euros annuels devraient passer sous le nez de Carlos Ghosn. Car le conseil d'administration de Renault estime que les "conditions de départ" de l'ancien PDG ne permettent pas de lui verser cette retraite-chapeau. Décision d'autant plus facile à prendre que la longue liste des patrons bénéficiaires, jusqu'à leur mort, d'une rente annuelle, scandalise régulièrement l'opinion.

Dernier en date avant qu'il ne soit question de Carlos Ghosn :  le patron allemand d'Airbus, Tom Enders, qui devrait toucher 1,3 million d'euros par an de "retraite chapeau" à partir de son départ, le 10 avril prochain, soit un total estimé à 26,3 millions d'euros. Mais de quoi s'agit-il exactement ? On vous résume ce dispositif très contesté en cinq questions.

1Qu'est-ce qu'une retraite-chapeau ?

Le terme de "retraite chapeau", explique l'Urssaf, désigne "un régime à prestations définies, financé par l'employeur et dont les droits sont conditionnés à la présence du bénéficiaire dans l'entreprise au moment de la liquidation de sa retraite". Il s'agit en clair d'un étage de plus, ajouté aux régimes de base et complémentaires obligatoires. L'objectif est d'"offrir aux bénéficiaires des taux de remplacement plus élevés", avec un "effet de fidélisation, puisque les adhérents de ces régimes doivent achever leur carrière dans leur entreprise pour pouvoir bénéficier de leur pension".

Très avantageuses, ces "retraites chapeaux", explique le quotidien Les Echos, permettent d'"attirer les dirigeants de très haut niveau, très bien payés et dont le niveau de vie risquerait sans cela de s'écrouler lors du passage à la retraite (...)   L'employeur garantit un niveau de retraite au salarié et s'engage à verser la différence avec le total des droits qu'il a acquis par ailleurs". 

2Quelles sommes peuvent-elles représenter ?

Cette "retraite chapeau" prend la forme d'une rente annuelle pour le bénéficiaire jusqu'à sa mort (sans compter une éventuelle clause de réversion au conjoint).  Et elle représente un joli pactole pour les dirigeants du CAC 40 qui en bénéficient, tel Gérard Mestrallet, l'ancien patron de GDF-Suez (devenu Engie) : à ce seul titre, il touche une enveloppe annuelle de 831 641 euros par an. Autre exemple : mardi 2 avril, Le Monde (article abonnés) révélait qu'Airbus avait provisionné 26,3 millions d'euros pour fournir à son patron allemand, Tom Enders, "une rente annuelle (selon l'hypothèse retenue en Allemagne d'une espérance de vie de 80 ans pour les hommes) de 1,3 million d'euros environ". Mais le record reste détenu par un autre patron du CAC 40, Jean-Paul Agon (62 ans) qui touchera lors de son départ du groupe L'Oréal "une rente annuelle de 1,57 million d’euros", précise Le Monde. 

Toutefois, ces sommes folles font oublier que ce mécanisme bénéficie aussi à d'autres salariés, rappelle BFM Business. Mises en place par quelque 11 000 entreprises, ces retraites-chapeaux ne portent parfois que sur "quelques centaines d'euros", selon la chaîne d'information économique.

3Y a-t-il des conditions pour en bénéficier ?

Evidemment, oui. "La plupart des systèmes de retraite ne conditionnent la liquidation de la pension qu'à la cessation de l'activité professionnelle", précise l'Urssaf. Mais, "dans le cas des retraites- chapeaux, une condition supplémentaire est imposée : que le bénéficiaire cesse son activité professionnelle dans l'entreprise. Ainsi, en cas de démission ou de licenciement, la rente n'est pas due". 

Renault estime que cette condition essentielle n'a pas été respectée dans le cas de Carlos Ghosn. "Le Conseil d'administration a constaté, s'agissant du régime de [retraite-chapeau] que les conditions de départ de M. Carlos Ghosn ne correspondent" pas à celles qui sont requises. Donc "aucune rente ne pourra lui être versée à ce titre", écrit l'entreprise dans un communiqué publié sur son site. "Le mandataire social doit être présent au moment où il fait valoir ses droits à la retraite, explique-t-on du côté du constructeur. Or, non seulement Carlos Ghosn n'est pas présent, non seulement il n'a pas fait valoir ses droits à la retraite, mais il n'occupe plus ses fonctions de mandataire social depuis fin janvier puisqu'il a démissionné."

4Carlos Ghosn a-t-il un recours ? 

Oui, explique Virginie Devos, associée du cabinet August Debouzy, à franceinfo. Mais tout "dépend de la façon dont le contrat est rédigé".

"Si cette retraite-chapeau est attachée à sa qualité de salarié comme membre du comité exécutif de Renault, il peut saisir les prud'hommes, explique l'avocate. S'il s'agit du droit des sociétés et que c'est lié à sa qualité de mandataire social, il devra s'adresser au tribunal de commerce ou au tribunal de grande instance". Pas sûr que ce soit sa priorité alors qu'il vient de retourner en prison au Japon.

5Ces retraites-chapeaux vont-elles continuer à exister malgré les polémiques ?

Le gouvernement affiche sa volonté de les encadrer. Jusqu'à présent, le Code de gouvernance Afep-Medef, les deux principales organisations regroupant les grands patrons, limitait ces retraites-chapeaux à 45% du salaire, mais cette recommandation n'avait pas force de loi. "Visiblement, les bonnes pratiques ne suffisent pas", a affirmé Bruno Le Maire, qui a dénoncé sur BFMTV "des excès insupportables"Le ministre de l'Economie a annoncé que ces prestations supplémentaires seraient limitées par la loi à 30% du salaire annuel des bénéficiaires. Une ordonnance va être introduite dans le projet de loi Pacte, qui doit être définitivement voté par le Parlement la semaine du 8 avril.

Les conséquences du texte seraient limitées, comme l'explique ce reportage de France 3 : dans le cas d'Airbus, puisqu'il s'agit d'une société de droit néerlandais, elle n'a pas à suivre les règles du Code de gouvernance Afep-Medef. Le renforcement de la seule loi française pourrait ne rien changer dans le cas de Tom Enders.

Surtout, prévient Les Echosqui a obtenu la primeur de l'ordonnance, "la réforme préparée par le gouvernement (...) n'a pas été pensée pour pénaliser les retraites-chapeaux. Au contraire, il s'agit de les pérenniser". Concrètement, ce texte "rend obligatoire la portabilité des droits acquis pour la retraite, y compris la retraite supplémentaire". Ce qui signifie, en clair, qu'"après la réforme, la retraite-chapeau suivra son bénéficiaire tout au long de sa carrière, abondée ou non par ses employeurs successifs. Ces derniers devront se partager le coût final de la pension garantie". Avec une loi pareille, les droits sont acquis à jamais et Renault n'aurait pu opposer à Carlos Ghosn son "absence" de l'entreprise ou le fait qu'il ait cessé ses fonctions pour lui refuser sa retraite-chapeau.

Pour Olivier de Fontenay, associé du cabinet Eres et spécialiste de l'épargne-retraite, ces changements législatifs remettent en cause "le discours sur la fidélisation des managers". "Si le manager n'est plus obligé de rester dans l'entreprise, comment justifier de lui verser une telle rente ?", s'interroge-t-il auprès de franceinfo. Selon lui, "le régime va disparaître", plombé par les textes successifs. La loi Macron de 2015 obligeait déjà à "divulguer les sommes provisionnées et les futures rentes" des dirigeants du CAC 40, alimentant "l'opprobre populaire", ironise le financier.

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