Supprimer un second jour férié : pourquoi la proposition fait débat
Les Français devront-ils travailler un jour supplémentaire, sans être payés plus, pour aider le système social du pays ? L'idée d'une deuxième journée de solidarité, portée par des sénateurs républicains, fait son chemin, alors que l'examen du projet de loi de financement de la Sécurité sociale doit débuter mercredi 13 novembre au Sénat.
La journée de solidarité a été lancée en 2004, un an après la canicule meurtrière de 2003, et permet de financer en partie l'autonomie des personnes âgées. Comme le rappelle la Caisse nationale de solidarité pour l'autonomie, les employeurs participent à hauteur de 0,3% de leur masse salariale, et aménagent le travail en conséquence. Le montant de cette contribution de solidarité pour l'autonomie (CSA) s'élevait l'an passé à 2,4 milliards d'euros, selon la caisse nationale qui gère la branche autonomie de la Sécurité sociale.
Cette CSA représente une partie seulement des recettes de la caisse – 41,8 milliards d'euros l'an passé – loin derrière la contribution sociale généralisée (CSG). Un autre dispositif, la contribution additionnelle de solidarité pour l'autonomie (Casa), est appliqué depuis 2013 aux pensions de retraite et d'invalidité – 0,9 milliard d'euros.
"Les partenaires sociaux y sont dans l'ensemble hostiles"
Il y a quatre ans, Laurent Vachey, inspecteur général des finances, avait déjà étudié l'idée d'une seconde journée de solidarité, aux côtés d'autres propositions de financement. Il évoquait alors, dans son rapport (PDF), "des effets incertains sur l'économie et sur l'emploi", ajoutant que "les partenaires sociaux y sont dans l'ensemble hostiles".
Ces réserves n'ont pas empêché la commission des affaires sociales du Sénat de reprendre cette proposition à son compte, fin septembre, dans le cadre d'un rapport d'information sur la situation des Ehpad. "Une telle mesure permettrait à la fois d'abonder de manière conséquente" les dépenses "en direction des établissements et services médicosociaux", écrivaient les rapporteurs.
Eviter une refonte des cotisations patronales
Dans la foulée, plusieurs parlementaires, notamment au centre, ont repris cette idée. Début octobre, dans Les Echos, l'ancien ministre Gérald Darmanin avait à son tour défendu le principe d'une deuxième journée de solidarité, "dans le public comme dans le privé". "La journée de solidarité ne fait pas l'unanimité au sein du groupe", confie toutefois à franceinfo une députée d'Ensemble pour la République.
Le gouvernement laisse désormais l'initiative aux parlementaires, tout en accueillant avec intérêt d'éventuelles initiatives en ce sens. Invité sur TF1, fin octobre, Laurent de Saint-Martin, ministre du Budget, s'est dit ouvert à une discussion parlementaire sur la question. "Je pense que tout ce qui permet à notre pays de montrer qu'on peut travailler davantage pour participer à l'effort de redressement va dans le bon sens". Le ministre de l'Economie, Antoine Armand, lui a emboîté le pas. "Le gouvernement ne l'a pas proposé mais je crois que certains parlementaires veulent le présenter, a-t-il estimé sur LCI, jugeant la "proposition très intéressante". Une "piste parmi d'autres", a-t-il ensuite précisé dans Les Echos.
Onze jours fériés sont inscrits au calendrier des Français, dans la moyenne haute des pays européens. A ce stade, aucun en particulier n'est dans le viseur. Mais le Souvenir français, une association mémorielle des combattants morts pour la France, a tout de même exprimé sa position. Son président Serge Barcellini a ainsi estimé que le 11-Novembre était "intouchable". Le message semble entendu. "C'est une journée fériée à laquelle nous sommes attachés", a déclaré le Premier ministre Michel Barnier, venu inaugurer la tranchée pédagogique au musée de la Grande Guerre de Meaux (Seine-et-Marne).
"Un gain économique pour les entreprises assez modéré"
Ces débats restent toutefois symboliques. La journée de solidarité était initialement fixée le jour de la Pentecôte, mais depuis 2008, les entreprises ont toute latitude pour répartir cette contribution à leur guise. Elles peuvent l'organiser à la place de n'importe quel jour férié ou aménager autrement le temps de travail (perte de RTT, étalement des sept heures...). "On ne remet pas en cause le 11-Novembre, le 8-Mai ou le Jeudi de l'Ascension, expliquait sur Public Sénat la sénatrice Chantal Deseyne, corapporteuse du texte. Les sept heures peuvent être réparties sur l'année, tout est envisageable".
En attendant, la gauche et les syndicats dénoncent déjà ce doublement potentiel de la contribution spéciale, de 0,3% à 0,6% de la masse salariale. "Le problème, c'est que la journée de solidarité ne concerne que les travailleurs, déplore la sénatrice écologiste Anne Souyris dans Le Nouvel Obs. Il n'y a pas de raison que les dividendes et les revenus financiers ne soient pas mis à contribution aussi". "On a déjà eu une réforme des retraites, trois réformes de l'assurance-chômage, une réforme du Code du travail, le gel des salaires dans le privé et le public, donc il faut arrêter de se moquer du monde", réagit Sophie Binet, secrétaire générale de la CGT interrogée par France 2.
"Politiquement, ce serait assez coûteux pour un gain économique pour les entreprises assez modéré", analyse l'économiste de l'Observatoire français des conjonctures économiques, Mathieu Plane, dans Le Parisien. "Il manque des milliards, tout le monde se doute bien qu'on va se prendre des coups sur le nez", commente quant à lui le sociologue Jean Viard, interrogé par La Dépêche. En fin de compte, supprimer un jour férié, c'est moins douloureux qu'une augmentation des cotisations sociales ou des impôts, même si ça fait un peu trésorerie de fin de mois…"
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