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Pourquoi le déficit de la Sécurité sociale devrait se creuser à nouveau en 2019

Le gouvernement promettait un retour à l'équilibre. Mais le "trou de la Sécu", creusé par les mesures prises pour répondre au mouvement des "gilets jaunes" et le ralentissement économique, devrait s'agrandir à nouveau cette année.

Article rédigé par franceinfo
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Une carte Vitale, à Lille, en octobre 2018. (DENIS CHARLET / AFP)

Revenu l'an dernier à son plus bas niveau en deux décennies, le déficit de la Sécurité sociale "se creuserait" de nouveau en 2019. Selon une synthèse de la Commission des comptes dévoilée mardi 11 juin, il serait évalué entre 1,7 et 4,4 milliards d'euros. 

En septembre 2018, la ministre de la Santé, Agnès Buzyn, et le ministre de l'Action et des Comptes publics, Gérald Darmanin, annonçaient pourtant un déficit au plus bas depuis 2001 (-1,2 milliard d'euros) et prévoyaient un retour à l'équilibre pour 2019. Cette promesse a été mise à mal par le ralentissement économique et les mesures prises pour répondre au mouvement des "gilets jaunes". Franceinfo fait le point.

Une croissance de la masse salariale inférieure à la prévision initiale

Selon la Commission des comptes, cette rechute du déficit "résulte pour l'essentiel d'une croissance de la masse salariale (...) nettement inférieure à la prévision initiale" du gouvernement. Au lieu des 3,5% espérés à l'automne, Bercy ne table plus que sur une progression de 3,1%, selon le programme de stabilité transmis à Bruxelles en avril.

Or, la masse salariale – montant global des salaires, dont une partie, via les cotisations sociales, est reversée à l'Etat – fait partie des causes conjoncturelles du déficit de la Sécurité sociale. Actuellement, elle "augmente moins que prévu", donc "les cotisations sociales prélevées sur les salaires sont aussi moins importantes, ce qui engendre moins de recettes pour l'Etat, note Alexandre Delaigue, professeur d'économie à Lille.

Des recettes affaiblies par les mesures en faveur des "gilets jaunes"

Plusieurs mesures prises en décembre lors du mouvement des "gilets jaunes" ont contribué à diminuer le montant des recettes attendues. En raison de la "prime Macron" votée en décembre, la Sécurité sociale ne devra se contenter finalement que d'une croissance de la masse salariale de 2,9%, selon la Commission des comptes.

Cette "prime Macron" a permis aux entreprises de verser une "prime de fin d'année à leurs employés" sans impôts, ni charges, et sur la base du volontariat, dans la limite de 1 000 euros. "Cette prime versée sous la forme d'un allègement des cotisations va aussi réduire les recettes, étaye Alexandre Delaigue. 

Normalement, au moment où l'on calcule les salaires, on déduit les cotisations salariales et patronales que l'on verse à l'Etat. Avec la 'prime Macron', une partie va être versée directement aux salariés plutôt qu'aux organismes de protection sociale.

Alexandre Delaigue, professeur d'économie

à franceinfo

Même mécanisme pour l'exonération de cotisations sur les heures supplémentaires, mise en place depuis le 1er janvier. Selon la Commission des comptes, elle devrait coûter 1,2 milliard d'euros. "Les heures supplémentaires sont normalement assujetties à des cotisations sociales. Si on décide de les exonérer, cela signifie que les salariés vont les toucher de manière directe sur leur salaire, mais que rien ne sera reversé aux organismes de Sécurité sociale", reprend Alexandre Delaigue.

Enfin, la baisse du taux de CSG pour une partie des retraités devrait coûter 1,5 milliard d'euros, selon la Commission des comptes. Il s'agit ici de la branche retraite de la Sécurité sociale. A partir de l'année prochaine, seules les pensions inférieures à 2 000 euros brut seront de nouveau revalorisées au niveau de l'inflation, rappelle Libération. "Quand on indexe, le pouvoir d'achat d'une pension [somme versée à la retraite] reste inchangé. Quand on supprime l'indexation, le pouvoir d'achat d'une pension est raboté chaque année du montant de l'inflation", explique le professeur. Puisqu'une partie des retraites vont de nouveau être indexées, cela signifie donc davantage de dépenses pour la Sécurité sociale, qui creusent le déficit.

Une croissance moins forte que prévu

En plus de ces mesures, l'avenir s'annonce moins positif qu'espéré. Avec une croissance économique revue de 1,7% à 1,4% cette année, le scénario d'une Sécurité sociale en excédent en 2020 "risquerait également d'être compromis"."Le chiffre de la croissance englobe tous les autres, reprend Alexandre Delaigue. Il détermine l'évolution des emplois, donc des salaires, et donc des recettes pour la Sécurité sociale", précise-t-il. 

Globalement, une plus faible croissante n'est pas bonne pour les recettes de l’Etat et de la protection sociale.

Alexandre Delaigue, professeur d'économie

à franceinfo

L'économiste nuance toutefois : "On raisonne avec un point de vue comptable, où l'on compare les recettes et les dépenses, mais dans pas mal de domaines, les besoins évoluent."

Un budget inadapté aux dépenses ?

Au-delà de ces éléments conjoncturels, la structure même du régime français de protection sociale est déstabilisé depuis plusieurs années, relève Alternatives Economiques (article payant). Selon le professeur d'économie Arnaud Parienty, "les dépenses sociales augmentent inévitablement plus vite que le produit intérieur brut (PIB). Les progrès techniques en matière de santé ne se traduisent pas, comme dans les autres secteurs, par des gains de productivité, mais par une inflation des coûts : examens, matériels sophistiqués, etc."

"Ce déficit, c'est simplement une absence de ressources, dénonce Christophe Prudhomme, délégué CGT urgentiste, sur franceinfo. Les députés votent une loi de financement de la Sécurité sociale en dessous des besoins, ce qui permet d’annoncer des déficits, puis d'imposer des économies", dénonce-t-il en décrivant "l'escroquerie intellectuelle de ces trente dernières années".

Ce pseudo déficit est un outil pour pouvoir restructurer le système de santé sous la contrainte financière.

Christophe Prudhomme, délégué CGT urgentiste

à franceinfo

Par ailleurs, le vieillissement de la population, lié surtout à l'augmentation de l'espérance de vie, fait augmenter les dépenses de retraite. Mais d'autres dépenses, comme celles liées au chômage, augmentent dans le même temps, à cause notamment d'une croissance en baisse, poursuit Arnaud Parienty. 

De son propre aveu, le gouvernement sait depuis plusieurs mois que sa projection de départ est devenue chimérique. Agnès Buzyn l'avait reconnu en janvier : "Le retour à l'équilibre en 2019 est compromis."

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