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François Hollande peut-il interdire les manifestations contre la loi Travail ?

En réponse aux débordements de la dernière manifestation contre la loi Travail, le gouvernement brandit la menace de l'interdiction des prochains rassemblements. En a-t-il le droit ? Les syndicats peuvent-ils contester l'interdiction ? 

Article rédigé par franceinfo - Bastien Bocquel
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Temps de lecture : 6min
Des heurts ont éclaté, mardi 14 juin, entre la police et des casseurs, à Paris, lors de la manifestation contre le projet de loi Travail. (MAXPPP)

"Je demande à la CGT de ne plus organiser ce type de manifestations sur Paris. Au cas par cas, car on ne peut pas prononcer une interdiction générale, nous prendrons nos responsabilités." Mercredi, sur France Inter, le Premier ministre a affiché sa fermeté, après les violences qui ont émaillé la manifestation contre la loi Travail, mardi à Paris. Le bilan ? Vingt-neuf policiers et onze manifestants blessés, une quinzaine de baies vitrées de l'hôpital Necker brisés. 

C'est assez rare pour être signalé : la droite partage la même vision que le gouvernement sur cette question. Alain Juppé et François Fillon se sont dits favorables à l'interdiction des manifestations. Francetv info fait le point sur cette possibilité.

Interdire une manifestation, c'est possible ?

Pour interdire une manifestation sur la voie publique, une règle d'or : être en présence d'un risque de trouble à l'ordre public. Si le ministère de l'Intérieur ou le préfet estiment que les conditions de sécurité ne seront pas réunies, un arrêté d'interdiction peut être pris.

En France, manifester est un droit, certifié, non pas par la Constitution, mais par l'article XI de la Convention européenne des droits de l'homme, ratifiée par la France. L'article X de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen prévoit, par ailleurs, que "nul ne doit être inquiété pour ses opinions, même religieuses, pourvu que leur manifestation ne trouble pas l’ordre public établi par la loi". 

En revanche, pour pouvoir manifester sur la voie publique, depuis le décret loi du 23 octobre 1935, les organisateurs doivent déposer une déclaration préalable, en mairie ou à la préfecture de police, si la manifestation est prévue à Paris. Le délai à respecter ? Entre trois et quinze jours avant la date de l'événement.

Un temps nécessaire pour permettre aux autorités d'assurer la sécurité le jour J. Sur le formulaire de demande doivent obligatoirement figurer les noms, prénoms et adresses de domicile des membres de l'équipe d'organisation.

L'état d'urgence facilite-t-il l'interdiction ?

"Non", répond le ministère de l'Intérieur, contacté par francetv info. Pourtant, avec l'état d'urgence, en vigueur sur le territoire français depuis les attentats du 13 novembre, les préfets peuvent réduire la liberté de circulation et de rassemblement. "Peuvent être interdites, à titre général ou particulier, les réunions de nature à provoquer ou à entretenir le désordre", précise la loi de 1955. Mais selon le ministère, "cela ne change rien au niveau du processus d'interdiction car ce sont les mêmes sanctions derrière".

Quels sont les recours ?

Si l'interdiction de la manifestation est prononcée, les organisateurs peuvent saisir le tribunal administratif. Lequel peut valider "l'interdiction ou suspendre son exécution s'il estime qu'elle est illégale et qu'elle porte atteinte à la liberté de réunion". Le dernier mot revient au Conseil d'Etat, pour qui "le souci du maintien de l'ordre public doit être mis en balance avec le nécessaire respect de la liberté de réunion", selon l'arrêt Benjamin de 1933.

Après les propos de Manuel Valls, réaffirmés par François Hollande, la CGT a rapidement réagi : "Menacer d'interdire les manifestations, c'est le signe d'un gouvernement aux abois." A l'issue de son entrevue avec Myriam El Khomri, vendredi matin, le secrétaire général du syndicat, Philippe Martinez, a confirmé la tenue des deux prochaines manifestations, les 23 et 28 juin.

Que risquent ceux qui manifestent alors que c'est interdit ?

Les simples participants s'exposent à une amende de 1re classe pour "violation des interdictions édictées par les décrets et arrêtés de police". En revanche, la peine est plus lourde pour les organisateurs : six mois d'emprisonnement et 7 500 euros d'amende, comme prévu par l'article 431-9 du Code pénal pour avoir "organisé une manifestation sur la voie publique ayant été interdite dans les conditions fixées par la loi". 

Y a-t-il déjà eu des interdictions de manifestation ?

Dans l'histoire récente, c'est une "décision rarissime", indique le ministère de l'Intérieur. Deux manifestations ont été interdites en juillet 2014. La préfecture de police de Paris avait alors décidé de ne pas autoriser une manifestation pro-palestinienne, évoquant un "contexte de tension accru". Une décision confirmée par le tribunal administratif de Paris puis par le Conseil d'Etat. Ce qui n'avait pas empêché des incidents et le rassemblement de 2 000 à 3 000 personnes, place de la République à Paris. 

Dans le cadre de l'état d'urgence, le ministère rappelle également qu'une interdiction de manifester a été décrétée "le premier week-end de la COP21 [fin novembre 2015] pour raison évidente de sécurité, quinze jours après les attentats". Une manifestation contre la loi Travail non autorisée à Rennes a également récemment été interdite : "Elle n'était pas déclarée et un appel à la dégradation de biens publics avait été observé sur les réseaux sociaux." Et de constater : "Au regard du nombre de manifestations qui ont lieu en France, le nombre d'interdictions est vraiment faible."

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