Loi Travail : comment François Hollande peut espérer sortir de la crise
A dix jours de l'Euro, la contestation contre la réforme du Code du travail repart de plus belle. Les syndicats opposés au texte appellent à "amplifier les mobilisations", avant la journée nationale d'action le 14 juin.
A dix jours du premier coup de sifflet de l'Euro, la France s'englue-t-elle dans le conflit autour de la loi Travail ? Pour faire plier le gouvernement, plusieurs syndicats (dont la CGT et FO) appellent "à amplifier les mobilisations", avant la journée nationale d'action, prévue le 14 juin. A la SNCF, la CGT, l'Unsa et SUD-Rail ont lancé des préavis de grève reconductibles à partir de mardi 31 mai au soir, plutôt pour des motifs internes, mais aussi sur fond de contestation de la loi El Khomri.
L'affaire risque donc de tourner au scénario cauchemar pour François Hollande, qui tentait d'entonner l'air du "ça va mieux", sur fond de baisse du chômage pour le deuxième mois consécutif. Comment le président de la République, et plus largement l'exécutif, peuvent-ils esquisser une sortie de crise ?
En retirant la loi Travail
Première solution, et a priori la plus simple : retirer la loi Travail. Objet de polémiques depuis trois mois, elle a été adoptée en première lecture à l'Assemblée grâce à l'article 49.3, qui permet d'éviter vote et débats.
Avantages : le premier serait de couper le sifflet à la droite, majoritaire au Sénat, où elle va examiner le texte en séance à partir du 13 juin. La chambre haute pourrait, en effet, selon Le JDD, en profiter pour durcir le projet de loi sur le temps de travail des apprentis ou le plafonnement des indemnités prud'homales. Le second avantage serait de donner un gage d'apaisement aux Français, qui désapprouvent majoritairement le texte. Selon un sondage Elabe, publiée début mai, les trois-quarts des personnes interrogées sont opposées au projet de loi El Khomri.
Inconvénients : après une série de cafouillages (déchéance de nationalité, inscription de l'Etat d'urgence dans la Constitution...), un retrait de la loi Travail donnerait, une fois de plus, l'impression d'un président hésitant à suivre le cap qu'il s'est fixé. Une image désastreuse, surtout si le chef de l'Etat caresse l'idée de se représenter en 2017.
Ce retrait pourrait également entraîner la démission de Manuel Valls, qui affirme vouloir aller "jusqu'au bout". François Hollande compte-t-il le désavouer ? C'est l'hypothèse d'un "vieil ami du président", cité par Le Parisien. Le chef de l'Etat, affirme ce proche, "a une option possible : retirer la loi Travail sous les pieds de Valls, obliger Valls à sortir et nommer Macron à Matignon. (...) Ce serait un coup de maître." Une hypothèse qu'il est le seul à soutenir. Pour un "député de la majorité" interviewé par 20 Minutes, un retrait serait le plus sûr moyen pour François Hollande de "planter la fin de son quinquennat". Même son de cloche du côté de Ouest France : "Une telle décision équivaudrait à renoncer à se présenter en 2017."
Probabilité : faible, sauf si les grèves prennent une ampleur comparable à celles de décembre 1995, qui avaient paralysé le pays pendant trois semaines sous le gouvernement Juppé.
En réécrivant le controversé article 2
Droit dans ses bottes, Manuel Valls l'a assuré, samedi 28 mai, au Parisien : "Il n'y aura pas de retrait du texte, pas de retrait de l'article 2, qui vise à décentraliser le dialogue social, parce que c'est le cœur de ce texte de loi." Il a d'ailleurs choisi de dégainer l'arme du 49.3 juste avant que cet article ne soit discuté à l'Assemblée.
Car l'article 2 est celui qui fâche, parce qu'il inverse la "hiérarchie des normes" (l'accord d'entreprise prime dorénavant sur l'accord de branche, notamment en matière de durée du travail). Et tout le monde ou presque s'accorde à le remettre sur la table, avec un nuancier qui va de la demande de la suppression pure et simple (comme le réclame le numéro un de la CGT, Philippe Martinez) à une réécriture qui n'en "change pas l'esprit", selon l'expression du député socialiste Christophe Sirugue, rapporteur de la loi Travail, joint par francetv info.
Avantages : rouvrir la discussion sur cet article offre une porte de sortie aussi bien au gouvernement qu'à la CGT. Pour la première fois depuis deux mois, Manuel Valls a appelé, samedi 28 mai, Philippe Martinez. Un "bon signe", selon le patron de la centrale. Dimanche soir, tout en exigeant le retrait de l'article 2, le dirigeant syndical a précisé :"Si le gouvernement dit : 'On suspend la procédure parlementaire, on discute, on améliore', il n'y a pas de problème. C'est ce qu'on dit depuis le début." Une reprise du dialogue, donc, même si Philippe Martinez s'en défend.
Inconvénients : la CFDT défend bec et ongles l'article 2 et le numéro un du syndicat, Laurent Berger, plaide pour son maintien. Si le gouvernement cède face à la CGT, il risque donc de perdre l'appui de la CFDT, son principal soutien syndical sur ce dossier. Un délicat travail d'équilibriste pour l'exécutif.
Probabilité : l'hypothèse est sur la table, avec la réintroduction possible d'un amendement obligeant les accords d'entreprise à être soumis, pour avis, à "la commission paritaire de branche compétente". Cette réécriture ne changerait rien à la "hiérarchie des normes".
En lâchant du lest sur d'autres fronts syndicaux
C'est la tactique prêtée par Le Monde à l'exécutif : tenter de fractionner les différents fronts. Le gouvernement serait prêt, assure le journal, à lâcher du lest "sur les fronts connexes, comme la SNCF ou même le régime d’assurance-chômage des intermittents du spectacle, pour tenir sur le combat principal".
Avantages : ce marchandage peut pousser aussi bien la CGT que le gouvernement aux concessions. Premier syndicat de la SNCF avec 34,33% des voix, selon Le Figaro, la CGT est ainsi en position favorable pour négocier dans un de ses bastions, où les salariés s'inquiètent d'un alignement par le bas des conditions de travail lié à la renégociation de leur convention collective sur fond d'ouverture à la concurrence d'ici à 2026.
Inconvénients : d'autres secteurs pourraient à leur tour exiger du gouvernement que leurs revendications soient entendues. Ou que la loi Travail tienne compte de leurs spécificités. Les chauffeurs routiers ont ainsi obtenu, rappelle La Croix, l'assurance que le projet de loi ne modifierait pas le régime "dérogatoire" de leurs heures supplémentaires.
Probabilité : négociations en cours, selon Le Monde... mais dans la discrétion.
En misant sur l'essoufflement
Combien de divisions à la CGT ? Les grèves de la semaine à la SNCF auront valeur de test. Un observateur proche de la CFDT parie sur l'essoufflement du mouvement. "D'abord parce que faire grève, ça coûte cher aux salariés, qui perdent des journées de salaire", note-t-il, un brin cynique. Et de citer l'exemple du quinquennat précédent, lorsque Nicolas Sarkozy avait maintenu, contre vents et marées, sa réforme des retraites. "En 2010, il y avait 3 000 pompes à essence bloquées dans le pays, bien plus qu'aujourd'hui !, rappelle-t-il auprès de francetv info. Puis, ça s'est étiolé et chacun est rentré chez lui. Le mouvement n'a pas permis de faire obstacle au projet de loi."
Avantages : le but est évidemment de jouer le pourrissement pour faire basculer l'opinion de gens gênés dans leur vie quotidienne par la grève des transports ou la pénurie de carburants. "En réalité, le pouvoir compte – mais, là aussi, c’est un pari – sur un retournement rapide de l’opinion contre la CGT, analyse Ouest France. A trop affaiblir une gauche peu de gauche, à trop combattre la loi El Khomri, elle risque de mettre en péril l’Euro de foot, de faire perdre de l’argent à tout le monde et de précipiter le retour d’une droite très à droite. Autant de perspectives peu populaires."
Inconvénients : Pas sûr que la manœuvre ait le résultat escompté. Selon un sondage Odoxa-MCI pour Le Parisien, révélé mercredi, une grande majorité de Français (61%) désignerait le gouvernement comme responsable, en cas d’éventuelles perturbations pendant l’Euro.
Probabilité : le gouvernement va évidemment jouer cette carte. Parmi d'autres.
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