Annonces mensongères, mal rédigées ou illégales : comment Pôle emploi peine à faire le ménage sur son site
Une offre d'emploi sur deux sur le site de Pôle emploi ne remplirait pas les critères de conformité qu'elles sont censées respecter. Franceinfo a enquêté.
Aujourd'hui, sur le site de Pôle emploi, une annonce sur deux serait douteuse, mensongère ou illégale. En cause : l'ouverture de la plateforme de Pôle emploi à des sites de petites annonces, opérés par des sociétés privées partenaires. Et que les agents de l'établissement public ne peuvent pas vérifier. Un algorithme est censé déceler les anomalies mais ce contrôle automatisé s'avère insuffisant.
Sur le site de Pôle emploi, des offres qui n'ont rien à y faire
Le site de Pôle emploi révèle parfois des surprises. Exemple avec cette annonce de masseuse nudiste dénichée cet hiver par la journaliste Nathalie Tissot, auteure d’une enquête pour le site d’information Le Lanceur : "Super emploi masseuse naturiste à domicile, horaires flexibles, 100 euros de l'heure, bonne personnalité, sympa, honnête, ponctuelle, responsable, bon physique".
Si ce type d’offre est plutôt rare sur le site de Pôle emploi, plusieurs sondages de la CGT du Morbihan ont montré de nombreuses défaillances. Trois enquêtes, menées dans le Morbihan en 2016, et portant sur 1 200 annonces, ont révélé un taux d’anomalies de 30 à 40%. Une quatrième enquête menée dans quatre villes (Lyon, Rennes, Marseille et Créteil), sur 1 298 annonces a été publiée en février 2017. Résultat, 50% des offres en ligne sont incohérentes, mensongères, malhonnêtes ou illégales.
L’auteur de ces enquêtes est Vladimir Bizet-Sefani, agent de Pôle emploi CGT à Lorient. Il a étudié tous les types d’annonces dans tous types de secteurs ! BTP, services à domicile, restauration. Parmi les cas de fraudes ou de mensonges signalés, des types de contrats qui ne correspondent pas à la réalité. Des contrats longue durée qui se révèlent être des missions d’intérim de 15 jours. Ou encore des annonces mentionnant contrat "renouvelable" ou "évolutif", qui sont illégales.
Nous avons rencontré Vladimir Bizet-Sefani, à Lorient, et avons passé plusieurs heures sur le site de Pôle emploi, à la recherche d’offres à problème. La première annonce a été la bonne. Il s’agissait d’une offre proposant une "mission longue durée avec formation préalable d'un mois". L’agent Pôle emploi flaire l’embrouille. Il appelle l’entreprise qui a passé l’annonce via un site privé pour vérifier s’il s’agit bien d’une mission de longue durée. C'est en réalité un contrat d'un mois : "En insistant un peu, on découvre que c'est une offre mensongère, donc illégale. C'est très fréquent. Ça n'a rien à faire sur Pôle emploi". Les exemples d’annonces incohérentes ne manquent pas. Certains postes proposés sur le site n’ont rien à voir avec ce qu'offre l’employeur.
Annonces non-conformes publiées sur le site internet de Pôle emploi by SecretsdInfo on Scribd
Outre la perte de temps, ces annonces mensongères peuvent parfois avoir des conséquences très concrètes pour les demandeurs d’emploi. Une jeune femme de 36 ans a ainsi répondu à une annonce pour un emploi de réceptionniste dans un camping, pour le week-end. En réalité, le patron du camping lui demandait de venir aussi dans la semaine : "L'offre demandait quelqu'un pour les vendredis, samedis et dimanches. Mais on me faisait intervenir n'importe quand. Si j'avais choisi de le faire, c'était aussi pour reprendre des études la semaine. J'ai demandé que l'on me refasse mon contrat. 48h après l’avoir signé j'étais virée".
La stratégie du chiffre a justifié l'ouverture à des annonces de partenaires
Tout bascule quand Pôle emploi s’ouvre aux sites privés. "Les annonces mensongères, ça a toujours existé à Pôle emploi. Mais avant, on les maîtrisait", assure Vladimir Bizet-Sefani, l’agent de Pôle emploi. "Depuis l’ouverture en 2013 de Pôle emploi aux sociétés privées qui ont eu le droit de diffuser des offres d’emploi sur la plateforme, le nombre d’offres d’emploi illégales est devenu infernal. J’avais énormément d’offres pas conformes à la loi, et cela portait préjudice aux chômeurs".
Pour mieux comprendre pourquoi Pôle emploi a ouvert son site au privé, il faut remonter à 2008, comme l’explique Michel Abhervé, ancien professeur d’économie sociale à l’université Paris-est Marne-La-Vallée : "On est en pleine crise des subprimes. Le nombre de demandeurs d’emplois explose. Pôle emploi, né de la fusion de l’ANPE et des Assedic, recentre les activités de ses agents sur l’accueil et le suivi des chômeurs. L’activité de prospection d’offres d’emploi des conseillers est mise entre parenthèses. Pendant ce temps, l’offre des opérateurs privés connaît un fort développement".
Résultat : le nombre d’offres proposées par Pôle emploi décline. Ce que lui reprochera plus tard la Cour des Comptes dans un rapport de 2015 portant sur la période allant de 2007 à 2014 : "Pôle emploi a renoncé à tout objectif global de collecte des offres d'emplois. De ce fait, le nombre d'offres d'emplois collectés par l'opérateur est en baisse depuis plusieurs années. Il est passé de 3,6 millions en 2007, à 2,5 millions en 2014".
En 2013, Pôle emploi finit par ouvrir sa plateforme d’offres d’emploi aux sites d’annonces privés comme Monster, RegionsJob ou MeteoJob (ndlr : suite à la publication de notre enquête, le site Régions Job nous précise qu’il emploie 15 personnes équivalent temps plein pour vérifier le sérieux de ses annonces avant leur mise en ligne). Pôle emploi devient alors un agrégateur d'annonces. Aujourd'hui, 60% des 650 000 annonces proposées viennent des sites privés. Comment en est-on arrivé à ce chiffre ? "L'objectif était-il de rendre service aux demandeurs d'emploi, s’interroge Michel Abhervé, ou de mettre en évidence que l'institution était capable de revenir ce qu'elle n'était plus, c'est à dire le principal le principal opérateur sur le marché de l'emploi ? Elle a choisi la deuxième option".
Cette politique d’ouverture est d’autant plus plébiscitée par les sites d’annonces privés qu’ils n’ont rien à débourser pour figurer sur le site. Aujourd'hui, Pôle emploi a signé des partenariats avec 119 partenaires extérieurs.
Des offres sérieuses côtoient des annonces non vérifiées
Le problème, c’est que parmi ces partenaires, tous n’ont pas la même rigueur pour contrôler les annonces. A cela s’ajoute le fait que certains ont eux-mêmes des partenariats avec d’autres bases de données dont ils aspirent les offres, ce qui multiplie plus encore le risque d'erreurs. Le site de Pôle emploi se retrouve donc avec des annonces à deux vitesses : les siennes, qui sont vérifiées par ses conseillers. Et celles des sites privés dont les contrôles peuvent être aléatoires, ce que regrette Michel Abhervé, le professeur d’économie sociale de l’université Paris-Est de Marne-La-Vallée. "Pôle emploi a labélisé un certain nombre de structures qui ont accès à leur plateforme, sans avoir eu l'obligation d'appliquer les mêmes normes que lui. J’estime que Pôle emploi a clairement fait le choix de privilégier le nombre d'offres affichables au détriment de la vérification de toutes les offres publiées".
Pôle emploi défend la qualité de ses algorithmes. La direction de Pôle emploi récuse le taux d’irrégularité d’une annonce sur deux avancé par la CGT et affirme que les annonces externes sont bien contrôlées avant leur publication. Ce contrôle est effectué par un algorithme, un outil informatique censé repérer des mots-clés pour identifier des annonces suspectes. Selon Catherine Poux, la directrice des services aux entreprises de Pôle emploi, cette technique est très efficace : "Dès lors qu'une offre paraît suspecte, une alerte est envoyée à nos agents, et elle est rejetée. Nous rejetons en moyenne 40% des offres adressées par les partenaires. Nos conseillers alertent systématiquement les entreprises partenaires qui ont diffusé l’annonce sur notre site. Il peut nous arriver de ne plus publier des offres de certains partenaires".
Pôle emploi a arrêté la diffusion d'offres de trois partenaires, dont celles du site d’annonces gratuites, VivaStreet (numéro 2 derrière Le Bon Coin) qui avait diffusé l'annonce de masseuse nudiste évoquée plus haut. Comment expliquer que malgré le filtre de l’algorithme de Pôle emploi, malgré le rejet de 40% des annonces avant leur mise en ligne, une annonce sur deux soit toujours hors-les-clous ? Il y a une raison à cela : les algorithmes ont leurs limites. Olivier Ertzscheid, chercheur en sciences de l’information et de la communication à l’université de Nantes, appelle à la vigilance. "Par défaut, un algorithme est assez idiot, il applique bêtement une chaîne d'instructions qu'on lui a données. Pour vérifier la conformité d'une offre, l'algorithme va vérifier que les informations sont saisies au bon endroit. Si l'offre satisfait trois critères sur six, l'algorithme peut considérer que l'offre est valide".
Si les agents de Pôle emploi ont la main sur les annonces récoltées directement par le site, ils sont totalement impuissants sur celles qu’ils agrègent depuis des partenaires privés. Pour Catherine Poux de la Direction de Pôle emploi, le problème ne vient pas des effectifs : "Le fait d'avoir des agents supplémentaires ne permettra pas d'avoir accès aux offres d'emplois qui nous sont adressées par ses partenaires. Les partenaires peuvent avoir des liens avec des entreprises clientes, mais nous n'avons pas connaissance des entreprises. Ils ne se sont pas engagés à nous permettre d'entrer en contact direct avec les entreprises qui leur confie leurs offres". Du côté de la CGT, on estime qu'un contrôle humain reste indispensable. Le syndicat réclame 300 agents supplémentaires dédiés au contrôle des annonces.
Peu de contrôles, peu de sanctions
Pôle emploi s’engage à améliorer l’efficacité de l’algorithme et invite les demandeurs d’emploi à signaler eux-mêmes les annonces douteuses sur son site. Mais Michel Abhervé estime que Pôle emploi doit imposer ses conditions : "On peut demander dans la convention que les partenaires fassent ce travail de vérification et que Pôle emploi sanctionne quand ce n'est pas fait. Que ceux qui ont accès à l'image de sérieux du service public respectent les règles !"
La menace d’une sanction pourrait être un levier efficace car les partenaires de Pôle emploi ont un double avantage à publier leurs offres sur le site de l’organisme public. Yannick Fondeur, chercheur au Cnam et au Centre d'études de l'emploi : "Pour eux, c’est une aubaine. D’abord, ça leur apporte une labellisation de Pôle emploi, le service public de l’emploi. Ensuite et surtout, ça leur apporte du trafic, du clic gratuit qu’ils devraient obtenir autrement, soit en payant pour du référencement sur Google, soit par l’achat de mots-clés au coût par clic sur des agrégateurs privés".
Cet hiver 2017, des parlementaires ont écrit à la ministre du Travail, Myriam El Khomri alors, pour dénoncer ces annonces douteuses. Parmi eux, Philippe Le Ray, député Les Républicains du Morbihan, donne quelques exemples de cas qu'il a croisés : "Une personne devait avancer 800 euros pour bénéficier d'un avantage lors de l'embauche, ça m'avait interpellé. Une autre personne a dû envoyer un RIB à un employeur sans même l'avoir rencontré. J'ai écrit à l'ancienne ministre du Travail. Je relancerai cette affaire avec l'actuelle ministre".
Une autre question se pose : Emmanuel Macron souhaite radier tout demandeur d’emploi qui refuserait deux offres "décentes" ou "raisonnables". Cette mesure sera-t-elle appliquée pour des offres qui se révéleront mensongères ? La direction se veut rassurante : seules les offres proposées à un demandeur d’emploi par un agent seront considérées comme des offres "raisonnables". A priori donc, les offres d’emploi en ligne ne seront pas concernées.
Pour Pôle emploi, le système tel qu’il est présente plus d’avantages que d’inconvénients. C’est ce que défend Catherine Poux : "Les exemples cités peuvent survenir et sont désagréables pour les candidats. Mais si je mets en parallèle le nombre de situations ainsi vécues face à l'intérêt que représente l'accès à ces offres, il faut raisonner en terme d'équilibre bénéfice et difficulté". Pour d’autres, un sérieux travail de contrôle reste à faire pour être à la hauteur des attentes des demandeurs d’emploi.
Commentaires
Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.