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Pourquoi des éleveurs font-ils tout un foin des rats taupiers dans le Cantal ?

Le collectif contre les rats taupiers a pris en otage des bottes de foin de la ferme de l'Institut national de recherche agronomique (Inra). Il dénonce l'inaction de l'Etat contre la prolifération de ce rongeur qui dévaste les terres.

Article rédigé par Thomas Baïetto
France Télévisions
Publié
Temps de lecture : 5min
Les agriculteurs ont installé des banderoles au bord des routes du Cantal pour dénoncer la pullulation des rats taupiers. (COLLECTIF CONTRE LES RATS TAUPIERS)

Les otages n'ont pas opposé de résistance. Des éleveurs du Cantal se sont emparés mardi 24 novembre à Marcenat de dix bottes de foin appartenant à l'Institut national de recherche agronomique (Inra). Une action symbolique organisée par le collectif contre les rats taupiers pour dénoncer l'inaction de l'Etat face à ce rongeur qui ravage leurs terres. "On n’est pas des voleurs, on est venu pour prendre en otage le foin en attendant des réponses", a expliqué à France 3 Nicolas Theron, agriculteur.

Derrière ce coup de force original, un vrai problème. Depuis un an et demi, le campagnol terrestre, plus connu en Auvergne sous le nom de rat taupier, pullule dans le nord du Cantal et le sud du Puy-de-Dôme. Le phénomène n'est pas nouveau, mais il est de plus en plus fréquent, à cause du réchauffement climatique et de l'abandon de certains produits chimiques utilisés dans les années 1990.

Sur le plateau du Cézallier, Marcenat est en première ligne. "Au dernier pointage, en juillet, il y avait entre 1 200 et 1 400 rongeurs par hectare", explique l'un des membres du collectif, qui préfère garder l'anonymat en raison de ses activités professionnelles. "Quand il y a un orage, c'est comme dans un film de Hitchcock, ils sortent de terre et vous en avez 200, 300 dans la rue", poursuit-il.

La Lune sur le Cézallier

Lorsqu'il ne pleut pas, le rongeur s'en prend au sol. "Aujourd'hui, nos terres ressemblent davantage à un sol lunaire qu'à des prairies de moyenne montagne", se désole le membre du collectif. En plein Parc naturel des volcans d'Auvergne, le Cézallier est recouvert de trous et de mottes de terre. "Je me demande ce que les touristes vont découvrir cet été", s'inquiète notre homme.

Une parcelle retournée par les campagnols terrestres, à Cézens (Cantal). (COLLECTIF CONTRE LES RATS TAUPIERS)

Les dégâts ne sont pas qu'esthétiques. Les habitants s'inquiètent d'une éventuelle pollution de l'eau, alors que le campagnol prolifère autour de plusieurs zones de captage.

Les agriculteurs, eux, craignent pour l'avenir de leur exploitation. Julien Lemmet, 24 ans, 75 vaches, fabrique du saint-nectaire fermier à Marcenat. "Il y a beaucoup plus de terres en surface à cause du rat taupier, ce qui augmente les risques de trouver la bactérie responsable de la diphtérie dans le fromage", explique le jeune homme. Des cas ont déjà été signalés dans le département, provoquant la destruction des fromages et l'arrêt de la production. Une perte de revenu dramatique pour les éleveurs concernés.

Un coût de 70 000 euros pour une exploitation

S'il est préservé des maladies pour le moment, Julien Lemmet est durement frappé au portefeuille. "Le rat taupier est un herbivore, rappelle-t-il. Il mange plus d'herbes que les vaches et il ne reste plus rien pour elles." Résultat, l'éleveur est obligé d'acheter du fourrage pour nourrir ses bêtes et refaire ses stocks. Cet été, il a dépensé 90 000 euros, contre 20 000 l'an dernier. Le rat lui a donc déjà coûté 70 000 euros cette année, alors que l'hiver arrive.

Le cadavre d'un campagnol terrestre, plus connu sous le nom de rat taupier en Auvergne. (COLLECTIF CONTRE LES RATS TAUPIERS)

Un problème de fourrage qui explique la prise d'otages du foin de l'Inra, seul représentant de l'Etat sur le plateau. "Nous avons eu une réunion le 4 novembre avec les services de l'Etat, nous n'avons pas eu de réponse, donc on a fait cette action", explique Julien Lemmet.

"La solution simple et facile n'existe pas"

Sous-préfet de l'arrondissement de Saint-Flour, Madjid Ouriachi représentait l'Etat lors de cette réunion. "Nous ne sommes pas là pour raconter des histoires, la solution simple et facile n'existe pas", se défend-il, alors que le collectif réclame l'expérimentation du virus Danysz, utilisé contre les rats à la fin du 19e siècle. Il rappelle qu'un arrêté de lutte obligatoire a été pris le 23 octobre 2015, pour coordonner le combat contre le rongeur ferme par ferme, et que "toutes les analyses ont montré que les eaux étaient conformes aux normes requises".

Un captage d'eau entouré par les trous des campagnols terrestres, à Paulhac (Cantal). (COLLECTIF CONTRE LES RATS TAUPIERS)

Le sous-préfet invite les agriculteurs à contacter les experts du GDON, le Groupement de défense contre les organismes nuisibles, pour déterminer quels sont les meilleurs moyens de lutter contre la prolifération de l'animal sur leurs terres. Si ces moyens – pièges, rapaces, etc. – ne fonctionnent pas, ils pourront prétendre à des indemnités. "On ne laisse pas tomber nos éleveurs", martèle Madjid Ouriachi, en invitant ces derniers à s'adresser à la cellule d'urgence active depuis l'été et le plan de sauvetage de l'élevage français.

L'Etat a par ailleurs investi 40 000 euros dans la recherche d'une solution pérenne contre le campagnol terrestre. "La recherche, cela prend du temps", rappelle le sous-préfet, dénonçant au passage la "prise d'otages" de Marcenat. Mais, pour certaines exploitations agricoles, le temps manque. "Ma ferme est en sursis, lâche Julien Lemmet, qui s'est endetté en 2012 pour s'installer. Je peux encore tenir une petite année comme ça, guère plus."

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