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Pourquoi Ségolène Royal vole au secours des abeilles

La loi sur la biodiversité pourrait interdire les néonicotinoïdes, des pesticides "tueurs d'abeilles". Une mesure qui crée une certaine discorde entre la ministre de l'Environnement et celui de l'Agriculture.

Article rédigé par Elise Lambert
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 7min
En butinant le pollen des fleurs, les abeilles participent à la reproduction de très nombreuses espèces. (MAXPPP)

Ils sont au cœur d'une "bataille féroce" entre apiculteurs, agriculteurs et le gouvernement. Utilisés dans le monde entier, les néonicotinoïdes, des pesticides très nocifs pour l'environnement et la santé, pourraient bien être interdits en France à l'horizon 2018. 

Jeudi 16 juin, au ministère de l'Environnement, plusieurs associations ont remis une pétition pour demander l'interdiction de ces produits chimiques "tueurs d'abeilles". Une action qui intervient une semaine avant le vote à l'Assemblée nationale du la loi sur la biodiversité, dont l'article 51 prévoit l'interdiction d'utiliser ces substances.

Si Ségolène Royal a assuré qu'elle "mettrait tout son poids dans cette bataille" afin que l'interdiction soit votée, elle fait face aux réticences du ministre de l'Agriculture, Stéphane Le Foll, soucieux de préserver les agriculteurs. Comment comprendre ce débat ? Pourquoi est-ce important ? Francetv info fait le point.

Sans les abeilles, un tiers de ce que nous mangeons n'existerait pas

On connaît bien les abeilles pour leur miel, leur bourdonnement parfois incessant... Mais l'existence de ces insectes est surtout essentielle à la biodiversité. Grâce à la pollinisation – le transport du pollen permettant la fécondation des plantes – les abeilles renouvellent de très nombreuses cultures et arbres fruitiers.

Elles participent ainsi largement à la survie de l'espèce humaine. Selon le ministère de l'Agriculture, un tiers de ce que nous mangeons n'existerait plus si les abeilles disparaissaient. Environ 35% du total de la production agricole mondiale (fruits, légumes, oléagineux, café, cacao, etc.) dépend de la pollinisation, rapporte le magazine Sciences et avenir.

En 2013, la chaîne de supermarchés américaine Whole Foods, spécialisée dans les produits bio et écologiques, a imaginé ce que seraient ses étals sans les abeilles. Résultat : 52% des produits proposés d'habitude ne pourraient pas l'être si les abeilles étaient exterminées. Parmi eux : les pommes, les oignons, les carottes, les citrons, les brocolis, les avocats ou encore les concombres, énumère Le Monde.

Extrait de la campagne de communication de Whoole Foods Market, sur la disparition des abeilles, le 12 juin 2013. (WHOOLE FOODS MARKET)

Le problème, c'est que les néonicotinoïdes tuent les abeilles

Si les abeilles sont un maillon essentiel de l'écosystème, elles présentent depuis les années 1990, un taux de mortalité très élevé : 30% en moyenne et jusqu'à 50 à 80% dans certains secteurs, pointe Le Figaro. "Chaque année, ce sont 300 000 colonies d'abeilles qui meurent et qui doivent être reconstituées" en France, déplore Henri Clément, le porte-parole de l'Union nationale de l'apiculture française (Unaf). Dans certaines régions françaises, près de trois-quarts des essaims d'abeilles ont disparu.

La raison de cette surmortalité ? Des parasites, comme le frelon asiatique, mais surtout l'usage de pesticides, qui contiennent les fameux néonicotinoïdes. Introduites en France dans les années 1995, ces molécules sont présentes dans de nombreux produits comme le Gaucho, le Poncho ou le Cruiser.

Destinés à protéger les cultures des insectes nuisibles, des champignons ou mauvaises herbes, ces insecticides sont souvent utilisés en prévention, en enrobage de semences (les graines sont enduites de produit avant d'être semées). Les molécules circulent ensuite dans toute la plante, des feuilles au pollen.

A leur contact, les abeilles sont désorientées et ne peuvent plus retrouver leur ruche, ce qui provoque leur mort. En 2013, l'Union européenne a posé un moratoire pour deux ans pour trois de ces molécules – le clothianidine, l'imidaclopride et le thiaméthoxame – pour quatre types de cultures : le maïs, le colza, le tournesol et le coton. Mais d'autres néonicotinoïdes continuent d'être commercialisés, et la ministre de l'Ecologie souhaite l'interdiction de tous ces produits.

Les agriculteurs veulent continuer à utiliser ces insecticides

Le 18 mars, après que l'Assemblée nationale a voté en première lecture l'interdiction des néonicotinoïdes d'ici 2018, les producteurs de céréales ont dénoncé dans un communiqué une "décision absurde, dramatique". Alors que "l'agriculture française traverse l'une des pires crises de son histoire", ils dénoncent une mesure qui "handicape gravement leur compétitivité".

Les céréaliers mettent en cause le manque de solutions alternatives et dénoncent un principe de précaution "contre-productif""Aucune donnée nouvelle depuis l'autorisation des produits visés ne justifie une telle mesure". Très opposée à cette décision, la Fédération nationale des syndicats d'exploitants agricoles (FNSEA) a elle aussi dénoncé le manque de concurrence loyale face à ses voisins européens, et a plaidé pour une "approche proportionnée".

Du coup, le gouvernement est divisé

Leur position est soutenue par le ministre de l'Agriculture puisque, dans une démarche inhabituelle, il a fait parvenir juste avant le vote à l'Assemblée une lettre de quatre pages aux députés, pour les appeler à ne pas voter "une interdiction brutale" des néonicotinoïdes.

Si Stéphane Le Foll reconnaît la neurotoxicité de ces molécules, il veut éviter les "distorsions entre les agriculteurs français et le reste des agriculteurs européens". Il précise également que la hausse de 9,4% des ventes de produits phytosanitaires entre 2013 et 2014 était "due à une augmentation des ventes d'herbicides et de fongicides" mais que "le recours aux néonicotinoïdes a baissé de 3 à 4% en moyenne entre 2011 et 2014". Selon l'Unaf, l'usage des néonicotinoïdes a elle augmenté de 31% entre 2013 et 2014.

Face à ce procédé, Ségolène Royal s'est déclarée surprise mais "pas en colère". Sur BFMTV, la ministre a fustigé "les combats d'arrière-garde sur le maintien des pesticides". "Ça fait partie du débat, plus rien ne m'étonne en politique", a déclaré la ministre de l'Environnement, ajoutant qu'elle comprenait pourquoi Stéphane Le Foll défend les agriculteurs "qui lui disent qu'ils ne peuvent pas faire autrement". Et de renchérir : "Moi, je connais beaucoup d'agriculteurs qui commencent à faire autrement."

"Aujourd'hui, il y a une femme sur 10 qui est touchée par le cancer du sein et on continuerait à faire comme si de rien n'était par rapport aux pesticides ? C'est inacceptable", a encore plaidé la ministre. La loi biodiversité doit être examinée en seconde lecture à partir du 21 juin prochain à l'Assemblée.

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