Course de karting à la prison de Fresnes : "La prison a autant vocation à punir qu'à permettre la réinsertion des détenus"
L'organisation de cet évènement dans l'établissement pénitentiaire, fin juillet, a choqué au sein d'une partie de la classe politique. Mais pour Arnaud Philippe, chercheur et spécialiste de la justice pénale, "ce type d'activités est vitale pour la survie des prisonniers et leur réinsertion".
La polémique provoquée par la course de karting organisée le 27 juillet au sein du centre pénitentiaire de Fresnes (Val-de-Marne) a remis en avant, dans le débat public, la question de la fonction de la détention. Si le grand public conçoit souvent la punition comme la mission première des prisons, la réinsertion des détenus fait aussi partie des priorités des établissements pénitentiaires.
C'est ce que développe Arnaud Philippe, enseignant-chercheur français à l'université de Bristol (Royaume-Uni), dans son ouvrage La fabrique des jugements : comment sont déterminées les sanctions pénales (éd. La Découverte, 2022). Pour ce spécialiste de la justice pénale et des prisons, "il faut vraiment vivre dans un monde bizarre pour s’imaginer que les gens en prison n’ont aucune distraction".
Franceinfo : Quelle est la mission première des prisons en France, selon vous ?
Arnaud Philippe : La prison a vocation à punir, mais aussi à permettre la réinsertion des détenus. Ce n'est pas moi qui le dis mais bien tous textes de loi qui régissent les trois types d'établissements pénitentiaires en France : les maisons d'arrêt, les centres de détention et les maisons centrales. Parvenir à maintenir ces deux contraintes opposées, punir et réinsérer, c’est toute la difficulté de l’administration pénitentiaire. D'un côté, on veut punir pour que l'idée dissuasive de la sanction terrorise la population et empêche les citoyens de commettre des infractions. De l'autre, tout le monde sait très bien qu'une fois la peine écoulée, les détenus seront relâchés.
C'est pourquoi l'administration pénitentiaire travaille à la réinsertion des prisonniers, et cela passe justement par des activités sportives, intellectuelles et surtout ludiques organisées au quotidien pour préparer les détenus avant leur sortie. L'objectif est à la fois d'éviter les suicides durant la période de détention et que le détenu ne soit pas devenu un monstre durant son passage en prison, comme cela a pu être le cas à Guantanamo [un camp de détention situé dans une enclave américaine à Cuba], où certains détenus étaient encore plus dangereux à leur sortie.
La détention ne doit donc pas être seulement une punition pendant laquelle le détenu fait pénitence ?
Absolument. La grosse difficulté pour la plupart d’entre nous, pour le grand public, c'est de comprendre ce qu’est véritablement une peine de prison. Être enfermé 18 ou 20 heures par jour, c’est juste l’enfer. Il est donc logique que l'administration pénitentiaire propose une série d'activités aux détenus lors de ces journées difficiles. Les gens pensent que quand on est en prison, c'est qu'on a fait du mal et donc qu'on doit souffrir. Tout ce qui va donc sortir de cette ligne-là sera alors considéré comme intolérable et polémique. Sauf qu'en réalité, c’est un petit peu plus compliqué que cela.
Comprenez-vous que la nature de l'activité proposée et le fait qu'elle ait notamment été pratiquée par un détenu condamné pour viol aient pu choquer ?
Dans cette activité karting, il y avait un côté spectaculaire, et c'est pour cela qu'on en parle tant depuis ces derniers jours. Mais oui, les détenus ont des distractions en prison et oui, l’idée est que ça ne se passe pas trop mal durant leur détention. Il faut quand même vivre dans un monde bizarre pour s’imaginer que les gens en prison n’ont aucune distraction et que rien n'est fait pour eux.
J'espère que cette polémique qui a éclaté au cœur de l'été, parce qu'il n'y avait pas grand-chose d'autre à raconter, permettra surtout de mettre en avant les problèmes de surpopulation carcérale. La prison de Fresnes possède une capacité de 500 détenus environ et ils sont aujourd'hui 2 000. Une étude de l'Ifop a montré en 2018 que les Français pensent que les conditions de détention dans les prisons françaises se sont améliorées, alors que c'est totalement l'inverse.
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