"Il faut protéger la santé de la population" : défiant l'Etat, des maires interdisent les pesticides dans leur commune
Une vingtaine de maires français ont pris des arrêtés interdisant l'utilisation de produits phytopharmaceutiques près des habitations situées sur leur commune, alors qu'ils n'en n'ont pas la compétence.
Ils veulent mettre fin à l'utilisation de pesticides, mais sont hors la loi. Une vingtaine de maires ont pris un arrêté interdisant l'usage de produits phytopharmaceutiques dans leur commune. Le problème ? Ils sont dans l'illégalité car un élu ne peut pas prendre une telle décision sur son territoire. Selon le Code général des collectivités territoriales, "l'utilisation des produits sanitaires relève d'un pouvoir de police spéciale du ministre chargé de l'Agriculture".
Certains pourraient donc connaître le même sort que Daniel Cueff, le maire de Langouët (Ille-et-Vilaine). L'élu écologiste sans étiquette a comparu jeudi 22 août devant le tribunal administratif de Rennes, car la préfecture réclamait la suspension de son arrêté du 18 mai interdisant l'usage de pesticides, dont le célèbre glyphosate, à moins de 150 mètres des habitations. La décision a été mise en délibéré. Classé "cancérigène probable" depuis 2015 par le Centre international de recherche sur le cancer (Circ), une agence de l'Organisation mondiale de la santé, le glyphosate n'est plus en vente pour les particuliers depuis le 1er janvier de cette année. Son interdiction totale en France a été repoussée par le gouvernement à 2021.
"Je savais que j'étais dans l'illégalité"
Daniel Cueff n'est pas le seul à braver la loi en justifiant son action par le fait que "le maire a une responsabilité de sécurité publique". Saint-Eloi-de Fourques (Eure), Trélon (Nord), Ohain (Nord), Boussières (Doubs)… une vingtaine de communes ont pris à ce jour des arrêtés limitant ou interdisant les pesticides. Au Perray-en-Yvelines, la maire PS Paulette Deschamps a interdit l'épandage de pesticides à moins de 150 mètres des habitations et des entreprises de sa commune, le 17 mai dernier. "Je savais que j'étais dans l'illégalité", admet l'élue auprès de franceinfo. Elle n'a pas tardé à recevoir un courrier de la sous-préfecture de Rambouillet lui demandant de retirer sous deux mois son arrêté, sous peine d'être convoquée au tribunal administratif.
Même combat pour Patrice Leclerc, maire PCF de Gennevilliers (Hauts-de-Seine), qui a déposé le 13 juin son arrêté anti-pesticides, comme le révélait Le Parisien. "Le but, c'est d'atteindre zéro produit phytosanitaire dans la commune. Cet arrêté s'appliquera sur l'ensemble du territoire et sur les voies ferrées, donc je suis en contact avec la RATP et la SNCF", explique l'élu à franceinfo. Il a reçu un courrier de la préfecture daté du 18 juillet lui demandant de procéder au retrait de "l'arrêté litigieux pris le 13 juin 2019".
Je vais écrire au préfet pour dire que je ne retirerai pas mon arrêté.
Patrice Leclerc, maire de Gennevilliersà franceinfo
Les maires de ces communes n'en sont pas à leur coup d'essai et s'investissent depuis plusieurs années dans la lutte contre la pollution. "Ce sont des sujets qu'on traite beaucoup, il faut protéger la santé de la population", assure Patrice Leclerc, maire de Gennevilliers. Paulette Deschamps a même proposé aux habitants de faire un test d'urine. Et le résultat est sans appel, selon elle : "Parmi les 50 personnes qui ont subi ces analyses, toutes se trouvaient au-delà du taux normalement accepté de pesticides dans l'eau potable", affirme-t-elle.
Si certains saluent l'arrêté de Paulette Deschamps, comme les habitants du Perray qui ont signé une pétition de soutien à leur maire, d'autres sont vent debout contre son initiative. C'est le cas de Christophe Hillairet, président de la chambre d'agriculture d'Ile-de-France, interrogé par Le Parisien. "On travaille parfaitement dans les clous en fonction des vents et selon des contrôles très stricts, assure-t-il. Ce que fait [Paulette Deschamps] est irresponsable. Si on veut la mort de notre agriculture, il n'y a pas mieux."
Solidarité entre élus
Malgré le risque de s'exposer aux "foudres de la justice", selon les mots de Paulette Deschamps, aucun des maires interrogés par franceinfo ne compte retirer son arrêté. Au contraire, ils comptent s'organiser pour mener leur combat à son terme. "Quand j'ai appelé Daniel Cueff, je lui ai souhaité bon courage et je lui ai proposé de reprendre cette idée de créer un comité des maires à ce sujet. Nous sommes en train de le mettre en place", explique la maire du Perray.
L'élue assure avoir déjà convaincu plusieurs maires, dont celle de Revest-des-Brousses (Alpes-de-Haute-Provence), Brigitte Reynaud. Celle-ci a pris, le 12 juillet, un arrêté interdisant l'utilisation de produits phytosanitaires dans un périmètre de 500 m autour des habitations.
"Le glyphosate n'est pas interdit par la loi"
Ces élus estiment que l'Etat ne joue pas sa "fonction régalienne qui est la protection de la population", comme le déclare Daniel Cueff à franceinfo. "Je me trouve contraint, en tant que maire d’une toute petite commune rurale, de prendre en lieu et place de l’Etat, et en toute légalité à mon avis, les mesures que l’Etat ne prend pas", conclut-il. Un avis partagé par Paulette Deschamps, pour qui "les épandages posent des problèmes de santé".
A cet argument, Michel Heuzé, le sous-préfet de l'arrondissement de Rambouillet (Yvelines), répond que "le glyphosate n'est pas interdit par la loi, même s'il fait débat. On ne peut donc pas interdire un comportement qui n'est pas légalement considéré comme répréhensible." La ministre de l'Ecologie, Elisabeth Borne, a tout de même concédé sur RTL que "le maire a raison sur un point, il faut mieux protéger les habitants quand on a des épandages de pesticides". Pour autant, "chacun ne peut pas définir ses règles comme ça dans son coin". La ministre a aussi promis qu'"un travail était en cours pour mieux protéger les riverains des épandages de pesticides".
"Il faut trouver des biais juridiques"
Alors, pour contourner la réponse de l'Etat, Patrice Leclerc a mis en place une coordination juridique entre les maires auteurs d'arrêtés similaires. "J'ai appelé Daniel Cueff, on a convenu de se recontacter, de se coordonner. L'idée est de voir sur quoi les tribunaux cassent nos arrêtés pour en reprendre d'autres derrière. Il faut trouver des biais juridiques", explique l'élu, déterminé à ne pas perdre cette bataille.
"La Constitution dit que les autorités doivent prendre en compte la santé des habitants, mais cela dépend du ministère. Donc je m'appuie sur la réglementation européenne, qui dit qu'on ne peut pas empêcher une collectivité locale de prendre des décisions pour défendre la santé des habitants", complète le maire de Gennevilliers. Et Patrice Leclerc a de l'expérience dans l'art de débusquer les failles juridiques. "Tous les ans, on publie des arrêtés contre les expulsions locatives. On change les articles en fonction de la décision du juge, on se crée une jurisprudence", indique l'élu.
Concernant Daniel Cueff, le maire de Langouët, la décision du tribunal sera connue en début de semaine prochaine. A l'audience, il a appelé le juge à préserver un arrêté qui "va dans le sens de l'histoire".
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