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Covid-19 : que risquent les restaurateurs qui ouvrent leurs établissements malgré les interdictions ?

Un mouvement lancé par un restaurateur du Doubs a appelé les gérants de restaurants à rouvrir leurs établissements lundi, pour exprimer leurs difficultés et protester contre les restrictions les visant, du fait de la crise sanitaire. 

Article rédigé par Valentine Pasquesoone
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 8min
Le restaurant Le Poppies ouvre ses portes aux clients le 27 janvier 2021 à Nice (Alpes-Maritimes), malgré l'obligation de fermeture du fait de l'épidémie de Covid-19.  (JEAN-BAPTISTE PREMAT / HANS LUCAS / AFP)

L'un de leurs groupes Facebook, nommé "Mon restaurant ouvre le 1er février", rassemble désormais plus de 27 000 membres. Lundi 1er février, des restaurateurs à travers la France sont appelés à rouvrir leurs établissements, malgré l'interdiction qui leur est faite d'accueillir du public pour cause d'épidémie de Covid-19. Un mouvement initié par un restaurateur du Doubs, et déjà suivi par le gérant du restaurant Le Poppies à Nice (Alpes-Maritimes) mercredi dernier. 

"C'est extrêmement dur pour les restaurateurs, moralement et économiquement", a convenu lundi sur RTL le ministre de l'Economie Bruno Le Maire, à l'heure où la fermeture des restaurants est actée au moins jusqu'à mi-février. Toutefois, "ça ne justifie en rien de ne pas respecter les règles, qui sont des règles sanitaires", a-t-il défendu. Quelles sanctions encourent ces restaurateurs en colère, en ouvrant de nouveau les portes de leurs établissements lundi ? Eléments de réponse. 

De l'avertissement à la fermeture administrative

Sur le plan des sanctions administratives, maires et préfets peuvent intervenir en cas de réouverture illégale de restaurants. "Le maire a des pouvoirs généraux de police administrative, il est garant de la santé, de la sécurité et de la salubrité publique", explique à franceinfo Laurent Bidault, avocat au sein du cabinet NovLaw, spécialisé en droit administratif et en droit de la restauration. Dans le cas où un restaurant rouvrirait, posant donc un problème de santé publique du fait de l'accueil de clients, un maire pourrait prononcer un arrêté municipal de fermeture administrative, indique l'avocat. Sa durée maximale serait de deux mois, trois s'il vend des boissons alcoolisées à emporter.

A ces premières sanctions peuvent s'ajouter celles des préfets. "Le préfet, en tant que représentant de l'Etat, doit faire appliquer les mesures prises" dans le cadre de la crise sanitaire, poursuit Laurent Bidault. Il dispose ainsi d'un pouvoir de sanctions à l'encontre des restaurants en faute, allant "du simple avertissement à la fermeture administrative pendant six mois", précise l'avocat. Des préfectures ont d'ailleurs déjà prononcé des arrêtés à ce sujet, par exemple à Paris. "Les établissements recevant du public en infraction avec les règles sanitaires feront systématiquement l'objet de procédures administratives pouvant aller jusqu'à une fermeture", indiquait ainsi le préfet de police dans un arrêté, datant du 25 septembre.

Ces sanctions peuvent être renouvelées – si elles sont justifiées – mais également contestées par le restaurateur, dans un délai de deux mois après notification. Toutefois, dans le contexte actuel, la décision d'une fermeture administrative pourrait-elle prendre effet plus tard, lorsque les restaurants seront autorisés à rouvrir ? "Nous n'avons pas la réponse", reconnaît Laurent Bidault. "En général, dès que l'on est notifié de la décision, celle-ci est applicable immédiatement" ou à quelques jours d'intervalle, développe l'avocat. "Il n'existe aucun principe juridique permettant qu'une sanction débute plus tard." Une fermeture administrative immédiate signifierait donc, dans un premier temps, la fin de la vente à emporter pour l'établissement mis en cause.

La fin de l'accès au fonds de solidarité ? 

Le ministre de l'Economie, Bruno Le Maire, l'a annoncé, lundi matin sur RTL. "Tous ceux qui restent ouverts seront suspendus pendant un mois de l'accès au fonds de solidarité et si jamais il y a récidive, ils n'y auront plus accès du tout." Pour les établissements concernés par une fermeture administrative, cela représente jusqu'à 10 000 euros par mois, ou une indemnisation de 20% du chiffre d'affaires 2019, dans la limite de 200 000 euros par mois.

Cette suspension des aides est-elle toutefois possible dans l'immédiat ? "A mon sens, il n'y a pas de base légale pour l'instant", souligne Laurent Bidault. Car à ce stade, les critères permettant de bénéficier de ce fonds de solidarité "n'incluent pas le respect de l'obligation de fermeture administrative ou le respect des règles sanitaires", relève l'avocat. 

"Juridiquement, un restaurateur ne pourrait pas se voir retirer le bénéfice du fonds pour un tel motif." 

Laurent Bidault, avocat

à franceinfo

Suspendre l'accès au fonds de solidarité sera donc possible si le gouvernement décide d'inclure, parmi les critères d'éligibilité à ces aides, le respect des règles sanitaires en vigueur. Et en cas de réouverture illégale de leurs établissements, les restaurateurs pourraient-ils avoir à rembourser les aides perçues ? "Cela me paraît compliqué, juridiquement, de le faire de manière rétroactive", réagit Laurent Bidault.

Des risques de poursuites civiles... et pénales

Les sanctions encourues par ces restaurateurs ne sont pas seulement administratives et financières. Sur le plan civil, ces derniers risquent plusieurs types de poursuites. Devant les prud'hommes, leurs salariés peuvent invoquer l'article L4121-1 du Code du travail, selon lequel "l'employeur prend les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs". "Si le préjudice est vraiment constitué, on va réparer par des dommages et intérêts", précise auprès de franceinfo Baptiste Robelin, avocat spécialiste du droit de la restauration au sein du cabinet NovLaw. En fonction de la gravité des faits reprochés – d'un risque d'exposition au virus à des séquelles graves de la maladie –, les dommages et intérêts pourraient varier entre "un et plusieurs milliers d'euros", indique l'avocat.

Les clients d'un établissement en faute, même s'ils ont fait le choix de se rendre dans ce restaurant, peuvent également engager une action auprès d'un tribunal judiciaire pour des risques concernant leur santé. Pour cela, ils peuvent se baser sur l'article 1240 du Code civil : "Tout fait quelconque de l'homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer". Enfin, il "n'est pas impossible" que d'autres restaurateurs, respectueux des consignes de fermeture, engagent une action auprès d'un tribunal de commerce pour concurrence déloyale, précise Baptiste Robelin. "Vous allez, par votre comportement (en ouvrant votre établissement), capter la clientèle du concurrent", relève l'avocat. Ce dernier reconnaît toutefois qu'il "imagine mal un restaurateur attaquer un autre restaurateur", dans le contexte difficile que connaît le secteur. 

Et sur le plan pénal ? L'article L3352-6 du Code de la santé publique indique que "le fait de ne pas se conformer à une mesure de fermeture d'établissement ordonnée ou prononcée (...) est puni de deux mois d'emprisonnement et de 3 750 euros d'amende". Et comme le rappelle Baptiste Robelin dans un article paru lundi, "les peines encourues par les personnes morales (une société privée par exemple) peuvent être multipliées par 5 par rapport à ce qui est prévu pour les personnes physiques, conformément à l'article 131-38 du Code pénal".

Baptiste Robelin et Laurent Bidault estiment en outre que des poursuites pour "mise en danger de la vie d'autrui" pourraient être engagées, par des salariés par exemple, à l'encontre de certains restaurateurs. Dans ce cas-là, l'article 223-1 du Code pénal prévoit un an d'emprisonnement et 15 000 euros d'amende. Des peines qui, elles aussi, peuvent être multipliées par cinq dans le cas d'une personne morale – tout en étant cumulables avec celles prononcées pour la personne physique.

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