Fonction publique : trois questions sur les propos du ministre Stanislas Guerini qui veut "lever le tabou du licenciement"

Le ministre de la Transformation et de la Fonction publiques a prononcé cette phrase choc mardi dans le journal "Le Parisien", alors qu'il a lancé les concertations avec les syndicats sur sa réforme de la fonction publique.
Article rédigé par franceinfo
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Le ministre de la Transformation et de la Fonction publiques, Stanislas Guerini, lors d'un meeting à Bayonne, le 22 mars 2024. (GAIZKA IROZ / AFP)

"Je veux qu'on lève le tabou du licenciement dans la fonction publique." C'est la petite phrase choc du ministre Stanislas Guerini dans Le Parisien . Elle ne figure pas dans les documents remis mardi 9 avril aux syndicats à l'ouverture d'une concertation sur son futur "projet de loi pour l'efficacité de la fonction publique" attendu à la rentrée. Ce projet de réforme vise notamment à accentuer la rémunération au mérite des fonctionnaires et faciliter les mutations d'une branche à l'autre de la fonction publique.

1 Qu'est-ce que cette phrase signifie concrètement ?

Stanislas Guerini fait référence aux licenciements pour insuffisance professionnelle. Ce ne sont pas des licenciements pour faute comme il peut y avoir dans le secteur privé, assurent les syndicats, mais cela ressemble plutôt à une procédure de licenciement pour inaptitude à la suite d'une maladie ou un accident. Il y en a eu seulement treize en 2023 selon les calculs du ministre, sur 2,5 millions d'agents de la fonction publique d'État. Le licenciement pour insuffisance professionnelle dans la fonction publique est un "outil très mal défini et extrêmement peu appliqué", regrette mercredi sur France Inter Stanislas Guerini, ministre de la Fonction publique.

Un chiffre dont il devrait "se réjouir", grince un responsable syndical, car cela prouve que l'accompagnement individuel et la formation, le cas échéant, permettent de reclasser des agents. Le même syndicaliste estime que le seul objectif de Stanislas Guerini est en réalité de réduire la masse salariale pour coller aux 20 milliards d'euros d'économies budgétaires déjà anticipés dans le prochain projet de loi de finances.

2 Comment réagissent les syndicats et l'opposition ?

Cette petite phrase est donc sans surprise très mal reçue. "Il est dingue de dire ça", résume un autre syndicaliste. D'autant que le ministre omet en revanche de parler du dispositif de rupture conventionnelle, testé depuis 2020 à l'image du privé et dont 5 300 agents de la fonction publique d'État ont bénéficié rien qu'entre 2020 et 2022. Un nombre jugé relativement important. "Il ne nous a absolument rien dit ! Nous l'avons appris dans la presse", déplore sur franceinfo, Natacha Pommet, secrétaire générale de la CGT Fonction publique. C'est une méthode que l'on dénonce depuis plusieurs mois, face à ce ministre qui préfère la presse aux relations sociales avec les organisations syndicales. On jette l'opprobre en faisant croire que les 5,5 millions de fonctionnaires souffrent d'insuffisance professionnelle."

"C'est purement honteux de la part d'un ministre de la Fonction publique, dont on attend depuis plusieurs mois de véritables négociations salariales pour augmenter nos salaires et qui marquent une profonde perte de pouvoir d'achat dans la fonction publique."

Natacha Pommet, CGT Fonction publique

sur franceinfo

Par la voix de son secrétaire général adjoint, Yvan Ricordeau, la CFDT , parle de "double provocation" sur "la forme" et sur "le fond". "70 000 postes manquent dans la fonction publique", rappelle Yvan Ricordeau. "On ne fera croire à personne que le sujet à traiter, c'est la question du licenciement. La question, c'est de savoir comment rendre la fonction publique attractive", estime-t-il. Il dénonce un mode de décision "toujours très vertical, dans la façon" dont le gouvernement "pense les changements". Or, "la société aujourd'hui a besoin de dialogue, de discussion, d'apaisement. Il faudrait trouver les voies de compromis", conclut-il.

De leurs côtés, des partis politiques de l'opposition sont vent debout après les propos tenus par le ministre de la Fonction publique. Le député La France insoumise de Seine-Saint-Denis Thomas Portes juge "absolument scandaleux" le fait de "s'attaquer aux fonctionnaires sous couvert que certains seraient des fainéants qui ne travailleraient pas bien, et qu'il faudrait faire des économies sur le dos de ces agents".

Le licenciement dans la fonction publique, "cela existe" déjà "dans notre droit", souligne Olivier Marleix, président des députés Les Républicains sur franceinfo mercredi. "Est-ce que ça vaudra aussi pour les ministres incompétents", rétorque Olivier Marleix. Il ne faut pas jeter "les fonctionnaires en pâture". Roger Chudeau, député du Rassemblement national considère que cette proposition relève d'un "travers de l'anti-fonctionnaire". Il pointe du doigt une vision empreinte de préjugés, reprenant l'idée que "nos fonctionnaires sont réputés à ne rien faire, à se tourner les pouces".

3 Quels sont les autres sujets soulevés par Stanislas Guerini ?

Le ministre a évoqué le temps de travail et l'absentéisme. Il affirme en effet que 200 000 fonctionnaires travaillent moins de 1 607 heures par an, le temps de travail correspondant à 35 heures par semaine, et que l'absentéisme dépasse 14 jours en moyenne. Ce qui engendre, selon le ministre, un coût annuel de huit milliards d'euros pour l'État. Des propos "démagogiques, symptomatiques d'un profond mépris" pour la fonction publique, s'étrangle la CGT. La concertation sur le projet de loi semble donc bien mal engagée.

D'autant que Stanislas Guerini rejette en revanche les demandes syndicales d'instaurer une négociation annuelle obligatoire (NAO), comme dans le secteur privé. Les responsables syndicaux déplorent unanimement que le ministre prétende vouloir renforcer l'attractivité de la fonction publique mais ne veut pas négocier et multiplie les provocations. Ils jugent le ministre "inconséquent". Au point que FO, la deuxième organisation de fonctionnaires a demandé et obtenu, selon nos informations, une audience auprès du cabinet de Gabriel Attal à la fin du mois.

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