Cet article date de plus de sept ans.

Quand le FN avance masqué parmi les fonctionnaires

Un fonctionnaire sur cinq se dit prêt à voter Marine Le Pen à l'élection présidentielle de 2017. La proportion monte à un sur quatre au sein de la fonction publique hospitalière. Ce chiffre a quasiment doublé en cinq ans.

Article rédigé par Célia Quilleret, franceinfo
Radio France
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 5min
À l'hôpital d'Avignon, les questions religieuses sont de plus en plus souvent source de débat parmi les soignants. (ESPOSITO ANGE / MAXPPP)

C'est l'un des grands enjeux de l'élection présidentielle : pour qui vont voter les quelque 5,3 millions de fonctionnaires ? En 2012, près de 14% d'entre eux avaient voté pour le Front national au premier tour. Cinq ans plus tard, selon les enquêtes du Cevipof, le Centre d'études de la vie politique française de Sciences Po, plus d'un agent de l'État sur cinq a l'intention de voter Front National en 2017. À l'hôpital, c'est près d'un agent sur quatre qui pourrait choisir Marine Le Pen, soit quasiment le double par rapport à l'élection de 2012.

Les agents hospitaliers sensibles à la thèse de l'"immigration sanitaire"

La progression du vote Front national concerne en majorité les agents de catégorie C, comme les aides-soignants. Mais pas seulement : "Toutes les lois de santé qui ont été faites depuis des années vont à l'envers du bon sens, n'hésite pas à répondre le docteur Christelle Dehaye, urgentiste à l'hôpital de Toulon. Le personnel s'épuise. Nous n'avons plus les moyens de travailler correctement. Bientôt, il y aura plus de personnels administratifs que de soignants dans les hôpitaux." 

Le FN est le seul qui prend en compte cette volonté d'arrêter de détruire notre système social. C'est le programme qui se rapproche le plus de la vérité.

Christelle Dehaye

médecin urgentiste

Quand on interroge les ténors du FN, ils mettent leur priorité dans la préférence nationale. Autrement dit : pour sauver l'hôpital et préserver les emplois, sans augmenter les impôts, il faudrait d'abord soigner les personnes qui cotisent et sont françaises. Une manière de lutter contre ce que le parti appelle l'"immigration sanitaire".

La religion, un débat de plus en plus récurrent à l'hôpital

À l'hôpital d'Avignon, les fonctionnaires syndiqués sont témoins de la tentation de leurs collègues à voter FN. Une tentation qui ne s'explique par seulement par la dégradation des conditions de travail et le manque de moyen. "Le côté religieux entre aussi à l'hôpital", souligne Rémi Aon, un infirmier. Le phénomène crée des tensions dans les services, au point de devenir invivable pour certains.

"Ces derniers jours, au sein du personnel des urgences, s'est installé un grand débat sur la décision de la maire d'Avignon de ne pas installer de crèche dans l'hôtel de ville, raconte l'infirmier. Certains disent ne pas comprendre pourquoi la crèche pose problème, alors que certaines femmes continuent à porter le voile en arrivant aux urgences, qu'on donne des allocations familiales à des musulmans, qui sont au chômage, qui ont dix enfants et qui sont des profiteurs de la société. C'est presque un mécanisme de défense. Cela entre en conflit avec les valeurs que doit prôner un soignant."

Éviter le débat ou pas, question cruciale pour les syndicats

Pour les syndicats, difficile de faire barrage à la montée du Front national au sein du personnel. Si les personnes inscrites sur des listes électorales FN sont automatiquement exclues de la CGT, les sympathisants eux ne le sont pas.

Les syndicats risquent de perdre des troupes dans la bataille, selon Graziella Lovera. Cette ancienne de la CGT est infirmière depuis plus de trente ans. "J'ai assisté à deux postures dans ce syndicat, dit-elle. Ceux qui entendent les choses et évitent les réponses, avec l'espoir de conserver des adhérents. Et ceux qui n'évitent pas le débat. Je pense que la force du FN aujourd'hui, c'est de s'appuyer sur des slogans qui peuvent se rapprocher de ceux de la CGT. Mais dès qu'on gratte un peu, on se rend compte que cela n'a rien à voir !"

On sait bien comment ça va finir... On va faire le choix de ceux qu'on va soigner. C'est terrible ! Moi, je soignerai tout le monde.

Graziella Lovera

Infirmière

Du côté du syndicat SUD, Denis Turbet-Delof n'est pas dupe. Pour lui, si Marine Le Pen drague les fonctionnaires, c'est pour mieux les attaquer après. "Ça se saurait si le Front National était intéressé par les services publics et la fonction publique. Rappelons que c'est un parti qui voudrai qu'il n'y ait plus d'impôt sur le revenu. Comment fait-on dans ce cas pour payer les services publics ? Il est dangereux de penser que ce parti peut répondre à nos problématiques."

Les fonctionnaires les plus modestes tentés par le FN, les plus haut placés par le centre

Même si le programme de Marine Le Pen s'avère flou sur le plan économique, même si la patronne du Front national n'a jamais expliqué de quelle manière elle compte maintenir les postes de fonctionnaires, le vote FN de cette catégorie de la population pourrait s'amplifier, selon Luc Rouban, du Cevipof.

"Du côté des fonctionnaires les plus modestes, analyse Luc Rouban, notamment ceux de catégorie C, il y aura certainement une attractivité encore plus forte du FN face aux propositions de François Fillon de réduire les effectifs et les moyens, de bloquer les salaires ou d'augmenter le temps de travail. Chez les fonctionnaires de catégorie A, il y aura sans doute plutôt une tentation d'aller vers le candidat du centre, Emmanuel Macron ou François Bayrou, par exemple, pour son côté un peu plus favorable à la fonction publique."

Sachant qu'un salarié sur cinq est fonctionnaire, ce basculement peut s'avérer crucial pour le FN. Depuis 2012, les intentions de vote des fonctionnaires pour le Parti socialiste ont été divisées par trois. Sur quels partis se reporteront-elles ? C'est l'une des grands inconnues de l'élection présidentielle de 2017. Dans tous les cas, le vote FN n'a plus rien de tabou dans la fonction publique.

Commentaires

Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.