En Bretagne, l'agroalimentaire s'effondre et la colère monte
De plans sociaux en fermetures, le secteur de l'agroalimentaire fait face à une "hécatombe". Les salariés se mobilisent.
Gad, Doux, Tilly-Sabco, Marine Harvest... Depuis quinze mois, la liste des entreprises agroalimentaires bretonnes en difficulté s'allonge. Avec l'agriculture, le secteur représente environ un tiers des emplois de la région. Les salariés de plusieurs entreprises visées ces derniers mois par des plans sociaux se sont mobilisés, lundi 14 octobre à Brest et Morlaix (Finistère).
Une réunion d'urgence sur le sujet va se tenir mercredi à Matignon. "Cette réunion portera sur la Bretagne, et en particulier sur l'agroalimentaire et l'agriculture, pour à la fois traiter l'urgence, avec la situation douloureuse dans le Finistère, et envisager l'avenir", a expliqué le ministre délégué à l'Agroalimentaire, Guillaume Garot.
Quelles sont les entreprises en difficulté ?
Vendredi, le tribunal de commerce de Rennes a scellé le sort de l'abattoir Gad de Lampaul-Guimiliau (Finistère). Une fermeture qui s'accompagne de 889 suppressions d'emplois dans cette entreprise de découpe et d'abattage de porcs qui en compte 1 700.
Au même moment, dans cette commune de 2 000 habitants, une entreprise de salaison, Jean Caby, annonçait renoncer à 80 postes attribués à des travailleurs indépendants.
A l'été 2012, le volailler Doux avait supprimé son pôle frais au prix de la perte d'un millier d'emplois. Son concurrent sur le créneau du poulet export, Tilly-Sabco, qui employait 400 salariés, a annoncé il y a peu devoir réduire sa production de 40%.
Autre incendie, celui-là lié à un groupe étranger : avant l'été, le Norvégien Marine Harvest, numéro un mondial du saumon fumé, qui vient de réaliser des bénéfices record, a annoncé la fermeture en 2014 de ses deux usines de Poullaouen, près de Carhaix (Finistère), et de Châteaugiron, non loin de Rennes. Bilan : 400 emplois supprimés.
Hors agroalimentaire, un autre gros point noir est PSA Peugeot-Citroën, autour de Rennes : 1 400 départs volontaires d'ici à fin décembre et les effets en cascade sur les sous-traitants.
"C'est toute la Bretagne qui souffre et particulièrement le Finistère. La Bretagne est en train de s'effondrer", estime Nadine Hourmant, déléguée FO du groupe Doux. "C'est réellement une hécatombe qui est en train de se produire en Bretagne", a affirmé de son côté Corinne Nicole, porte-parole de la CGT du groupe volailler Tilly-Sabco. Elle a par ailleurs assuré qu'il fallait s'attendre au total à la suppression de 8 000 postes avec les emplois induits, en plus des réductions d'effectifs dans les quatre entreprises agroalimentaires, situées dans un rayon de 50 km.
Les salariés se mobilisent
Quelque 300 salariés ont bloqué jusqu'en fin de matinée l'aéroport de Brest, symbole de l'économie en Bretagne. A l'appel des syndicats CGT et FO des entreprises Doux,Tilly-Sabco, Marine Harvest et Gad, les manifestants ont d'abord bloqué un rond-point à l'entrée de l'aéroport, avant de se coucher sur le tarmac en silence pendant quelques instants. Quelques élus locaux étaient également présents. Deux vols pour Paris au départ de Brest ont été annulés, ainsi qu'un vol en provenance de la capitale, selon le site internet de l'aéroport de Brest.
Les manifestants se sont ensuite dirigés en opération "escargot" vers Morlaix, où une centaine de manifestants, dont des salariés de Tilly-Sabco et des éleveurs, ont bloqué la RN12 dans les deux sens sur le pont de Morlaix, qui enjambe la ville. En début d'après-midi, cette opération provoquait entre 1,5 et deux kilomètres de bouchon, selon un gendarme. Les salariés du groupe volailler Doux portaient des affiches proclamant "Sauvez nos emplois et l'industrie", ou "Sauvez la filière avicole export". Ceux du volailler Tilly-Sabco brandissaient de leur côté des pancartes "Nous voulons vivre", sous un drapeau breton.
Dans le même temps, quelque 200 salariés ont bloqué un rond-point à Landivisiau, près de l'entreprise Gad, selon FO. La mobilisation continuera mercredi, avec Produit en Bretagne (PeB), qui regroupe quelque 300 entreprises et plus de 100 000 salariés, ainsi que l'Association bretonne des entreprises agroalimentaires (Abea) qui appelle ses membres à "sonner le tocsin" en faisant résonner leurs alarmes incendie sur les lieux de travail, pour alerter sur la gravité de la situation.
L'écotaxe jugée néfaste pour l'économie bretonne
Dans ce contexte, l'écotaxe pour les poids lourds, censée entrer en vigueur au 1er janvier mais perçue par certains comme une nouvelle "gabelle", cristallise une vive opposition parmi les patrons de l'agroalimentaire et les représentants bretons du syndicat agricole majoritaire, la FNSEA.
Samedi, de grosses perturbations ont eu lieu sur les voies express régionales en raison de manifestations contre l'écotaxe. "Pour les grosses entreprises, le coût de la taxe serait de 1 à 8 millions d'euros, le coût global serait de 60 à 80 millions d'euros en Bretagne", a ainsi affirmé François Palut, président de l'Association pour le maintien de l'élevage en Bretagne.
L'écotaxe "va peser lourdement sur notre économie et provoquer, à l'ouest de la ligne Rennes-Nantes, un no man's land pour les futurs investisseurs (...) Nos différentes demandes au plus haut niveau de l'Etat sont demeurées sans écho", écrit Alain Gilon, président de l'influent Institut de Locarn, un think tank breton, dans une lettre aux industriels de l'agroalimentaire avant l'action de mercredi. Plusieurs portiques écotaxe ont été démontés ou sabotés depuis cet été.
Mais les causes du mécontentement sont plus larges. Le projet de métropolisation fait craindre un axe Saint-Malo-Rennes-Nantes happé par Paris, face à une Bretagne occidentale laissée pour compte du développement. Autre décision alimentant le sentiment d'abandon : le report de projets de lignes à grande vitesse (LGV) vers Brest et Quimper.
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