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Le RSI et ses assurés ? "Une relation de maître à esclave"

Près de 2 000 artisans et commerçants ont défilé dans les rues de Paris pour dénoncer les dysfonctionnements du régime social des indépendants auxquels ils sont affiliés. Témoignages. 

Article rédigé par Benoît Zagdoun
France Télévisions
Publié
Temps de lecture : 8min
Manifestation contre le RSI (régime social des indépendants), le 21 septembre 2015 à Paris. (BENOIT ZAGDOUN / FRANCETV INFO)

Six mois après, leur colère reste intacte. Artisans, commerçants, professions libérales, petits patrons... Les travailleurs indépendants ont de nouveau manifesté, lundi 21 septembre, dans les rues de Paris pour dénoncer les dysfonctionnements de leur régime social, le très critiqué RSI. Le régime social des indépendants est le deuxième après le régime général de la Sécurité sociale, et ses quelque six millions d'affiliés. Parmi les près de 2 000 manifestants, certains ont raconté à francetv info leurs déboires kafkaïens avec le RSI et son administration.

Romain, sans assurance sociale pendant quatre ans

Romain et Juliette vivent et travaillent ensemble. Et, depuis 2009, le RSI de leur département s'est immiscé dans leur quotidien, jusqu'à le pourrir. La jeune femme a créé en 2009 une entreprise de restauration rapide à Angoulême (Charente). Le couple a entrepris des démarches pour que le jeune homme obtienne le statut de conjoint collaborateur. "Esclave légal", peste Romain. "Cela a été le début de quatre années de cafouillages administratifs", résume-t-il. La Caisse primaire d'assurance-maladie a radié Romain, comme prévu, mais le RSI n'a pas fait les démarches nécessaires pour rattacher le jeune homme, "malgré toutes nos relances", souligne Juliette. Romain n'avait plus d'existence légale.

Le jeune homme est tombé malade. Par chance, le médecin de famille de Juliette a été "compréhensif", raconte-t-elle. Il a accepté de faire passer la consultation et l'ordonnance sur la carte Vitale de la jeune femme. Mais pas question de consulter un spécialiste. Résultat, aujourd'hui, "mes dents sont pourries", crache Romain.  

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Finalement, c'est la mutuelle du couple qui a réglé le problème. Au bout de quatre ans, Romain a enfin pu avoir un numéro de sécurité sociale. Mais il a encore dû attendre une année avant de recevoir sa carte Vitale. "Et encore, elle ne fonctionne pas. Je suis obligé de présenter mon attestation à chaque fois. C'est tout juste si Juliette ne doit pas, elle aussi, attester que je travaille dans son entreprise", se lamente-t-il. "Par contre, pendant tout ce temps, on a payé nos cotisations, et le RSI les a encaissées", glisse la jeune femme. "On marche sur la tête. C'est le chaos total", lâche Romain, exaspéré.

Joëlle, en pleine bataille judiciaire depuis cinq ans

Joëlle et son mari, Philippe, possèdent une petite entreprise de fumage de saumons dans le Loiret. Mais elle est pour l'heure fermée. Et "on ne sait pas si on va rouvrir un jour", déplore Joëlle. Car le couple vit un calvaire depuis cinq ans. Philippe a dû subir une greffe du foie en 2010. Le médecin mandaté par le RSI a reconnu son invalidité "totale et définitive", assure-t-elle. Son époux pouvait dès lors espérer toucher des indemnités. Mais le RSI a refusé de les lui verser, faisant valoir qu'il n'était pas à jour de cotisation. "Il avait raison", reconnaît sa femme. 

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Les ennuis ne faisaient que commencer. "Le RSI a réclamé des cotisations exorbitantes : 17 000 euros par trimestre. Pour une très petite entreprise avec un seul salarié, c'est impensable", proteste Joëlle, dont les soucis ne s'arrêtent pas là. "Quand le RSI nous réclame de l'argent, elle envoie une contrainte avec avis d'huissier. Une fois, on en a reçu une exigeant 550 euros. Mais, sur notre compte internet à la RSI, on ne devait que 220 euros", raconte-t-elle.

"Le RSI nous a aussi demandé de payer trois fois le même trimestre de cotisations. Et deux fois un autre. Et tout ça, alors que le tribunal a annulé trois trimestres de cotisations et a jugé qu'on n'avait pas à les payer", insiste Joëlle. Le couple en est à son quatrième avocat et a dépensé "des fortunes" en procédures judiciaires. "On en a ras le bol. C'est dément", soupire Joëlle, qui manifeste toute de noir vêtue, un drapeau pirate noué autour du front.

Elodie, 9 000 euros de rappel de cotisations et des courriers sans réponse

Les difficultés financières d'Elodie ont commencé en mai lorsque la jeune femme, qui tient un institut de beauté près d'Orléans (Loiret), a reçu un courrier du RSI départemental. "Un rappel de cotisations de 9 000 euros", s'emporte la patronne, qui a aussitôt demandé des explications sur ce montant anormal à ses yeux. "Mes courriers sont restés sans réponse", dénonce-t-elle.

Au téléphone, ce n'est guère mieux : "On n'a jamais le même interlocuteur. Certains sont incompétents. D'autres nous disent : 'C'est comme ça. Ce n'est pas moi qui fait les lois.' On voudrait qu'ils nous donnent leurs bases de calcul." Sa comptable a fini par percer le mystère. "Le RSI a additionné les rappels de cotisations de 2013 et de 2014 et a ajouté les prévisions sur 2015 en partant du principe que je ferais 20% de chiffre d'affaires en plus." Elodie n'a pas eu d'autre choix que de payer. "On n'avait pas la trésorerie pour payer, alors on a demandé un échéancier, qui nous a été refusé."

  (BENOIT ZAGDOUN / FRANCETV INFO)

Depuis, les temps sont durs pour la petite entreprise d'Elodie. La jeune femme ne se verse pas de salaire depuis six mois. Elle a aussi dû suspendre le prêt immobilier pour sa maison. Et son employée en CDD n'a pas été reconduite. L'activité du salon de beauté en a pris un coup. "Pour essayer de compenser, je fais des journées à rallonge", explique la jeune patronne. Pour payer moins de cotisations l'an prochain, Elodie a décidé de ne pas déclarer de chiffre d'affaires cette année. Mais elle le sait, "à un moment, il faudra bien payer. C'est le serpent qui se mord la queue." "C'est inimaginable. Il faut le vivre pour le croire", conclut-elle.

Alain, une séquestration pour se faire entendre

Alain brandit un mannequin de la grande faucheuse. "Parce que le RSI tue", assène ce patron d'une entreprise de nettoyage à Lisieux (Calvados), qui parle d'une voix posée. L'entrepreneur consciencieux a téléphoné au RSI local pour signaler qu'il ne payait pas assez, "à cause d'un bug informatique". Pendant deux ans. En 2010, il a fini par recevoir une réponse. "Un rappel de 12 000 euros à payer sous quinzaine." Il a demandé et obtenu un échelonnement du remboursement. Et il a donc versé 500 euros par mois pendant deux ans. "A chaque fois, mes chèques étaient soit perdus, soit crédités sur le compte d'un autre cotisant", dénonce-t-il.

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"Et ce n'est pas tout", avertit Alain. Son entreprise postule pour des appels d'offres. Pour ce faire, elle doit justifier qu'elle est à jour de cotisations. Cette attestation de vigilance est délivrée par le RSI. Las, le justificatif est établi au nom de l'entrepreneur et non de sa société. "A cause de ça, j'ai eu des bons de commandes bloqués. J'ai même failli être éjecté par un de mes clients, une grosse entreprise avec qui je travaille depuis vingt ans", souligne-t-il. "A chaque fois, le problème est résolu au coup par coup. Il existe pourtant une circulaire ministérielle, mais ils ne l'appliquent pas", proteste le petit patron.

"C'est une relation de maître à esclave", analyse Alain. Un jour, à bout de nerfs, il a fini par séquestrer un employé du RSI pour obtenir ce précieux document. "C'était une question de survie, s'explique-t-il. Si je ne faisais pas ça, je mourrais."

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