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"Le travail du dimanche révèle les difficultés engendrées par le chômage"

Le gouvernement a choisi de temporiser sur le travail dominical, en confiant une mission de concertation à l'ancien PDG de La Poste, Jean-Paul Bailly. Mais le débat reste vif. Voici l'analyse de deux sociologues.

Article rédigé par Violaine Jaussent
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 5min
Un magasin Leroy Merlin frappé par l'interdiction de travail dominical ouvre ses portes, le 29 septembre 2013 à Gennevilliers (Hauts-de-Seine). (MAXPPP)

Plancher sur le travail dominical un lundi. Quatre ministres se sont réunis à Matignon autour du Premier ministre, Jean-Marc Ayrault, lundi 30 septembre. Le mouvement de fronde des enseignes de bricolage Castorama et Leroy Merlin, qui ont bravé une interdiction d'ouverture dimanche, a poussé le gouvernement à se saisir de ce dossier sensible. A l'issue de la réunion, une mission de concertation a été confiée à Jean-Paul Bailly, l'ancien PDG du groupe La Poste. Ses conclusions sont attendues pour fin novembre.

Pourquoi le travail dominical suscite-t-il des réactions aussi vives ? Pour le comprendre et saisir les enjeux du débat, francetv info a interrogé Jean Viard, sociologue et directeur de recherche spécialisé dans l'étude des temps sociaux (35 heures, temps libre, vacances…), et Jean-Pierre Durand, professeur de sociologie spécialisé dans le travail et l'entreprise.

Francetv info : Pourquoi le travail dominical cristallise-t-il le débat ?

Jean Viard : Le travail dominical est un enjeu important car il s'agit d'un marqueur occidental historique. C'est un enjeu symbolique dans le domaine religieux, ainsi que dans le domaine politique et social. Pour ces raisons, le travail dominical est tabou pour les chrétiens et une partie de la gauche, même si dans le monde industriel et ouvrier, travailler le dimanche est devenu courant. Certaines usines ont besoin de fonctionner sept jours sur sept. 

Jean-Pierre Durand : C'est un sujet directement lié à l'emploi et au travail, donc proche des préoccupations quotidiennes des Français. Travailler ou pas le dimanche : le débat traverse le gouvernement comme il traverse la société. Il met en opposition les points de vue des ministres du Travail et de l'Economie, comme ceux des citoyens. Mais ce débat n'aurait pas lieu dans une société de plein emploi, je tiens à le souligner. C'est un épiphénomène, qui révèle les difficultés engendrées par le chômage structurel de notre société, et la profondeur du malaise autour du travail et de l'emploi.

Quels changements ce débat peut-il engendrer ?

Jean Viard : Il doit servir à faire évoluer plus largement le cadre juridique du travail dominical. Le dimanche est exceptionnel, c'est la norme, et cela doit le rester. Mais il faut prendre en compte les demandes de la majorité des consommateurs et des salariés, qui, selon moi, sont claires. Culture, restauration, bricolage et jardinage : les activités de temps libre légitimes un dimanche doivent être accessibles à tous. Surtout, l'Ile-de-France est un cas à part. Acheter un réfrigérateur en région parisienne pendant la semaine est difficile, notamment à cause des horaires de travail des Franciliens et des temps de trajet.

Quant aux salariés, selon plusieurs études, ils veulent être seuls à leur domicile de temps en temps, ce qui est possible s'ils travaillent un dimanche par mois car ils ont alors un jour de récupération en semaine. Ils sont aussi d'accord pour travailler le dimanche en échange d'avantages. Le travail dominical peut également permettre de développer des contrats pour les étudiants. Par exemple, en travaillant deux jours par semaine, ils peuvent financer leurs études et avoir une expérience du monde du travail. C'est un fonctionnement que l'on peut imposer à des entreprises comme Leroy Merlin ou Castorama.

Jean-Pierre Durand : Réserver le travail le dimanche aux étudiants n'est pas pertinent, d'après moi. D'autres catégories de salariés sont tout aussi légitimes pour le demander : les femmes qui vivent seules, les seniors licenciés… Le travail dominical ne permet pas non plus d'augmenter le nombre d'emplois au sein d'un magasin. Cet argument est une duperie. En somme, le seul changement induit par le travail du dimanche est un nivellement du travail par le bas, car cela étend la notion de flexibilité.

Pourquoi les syndicats se mobilisent-ils autant contre le travail dominical ?

Jean Viard : Les syndicats défendent le repos dominical pour des raisons familiales et sociales, car il s'inscrit dans la tradition du mouvement syndical. Pour eux, l'arythmie des horaires de travail n'est pas une bonne solution. Ils aimeraient que tous les salariés aient le même agenda. Or, la vision qu'ils défendent est archaïque.

Jean-Pierre Durand : Dans une entreprise, toute personne dont l'emploi n'est pas durable est potentiellement favorable à un aménagement du temps de travail, contrairement aux personnes qui ont un emploi fixe. Les syndicats veulent défendre cette seconde catégorie de salariés. Ils sont peu représentés dans les médias, contrairement aux défenseurs du travail dominical, soutenus par les directions [comme le raconte cet article du Huffington Post]. De leur côté, les employeurs cultivent la confrontation entre les salariés qui veulent travailler le dimanche et ceux qui ne le souhaitent pas. Mais encore une fois, ce conflit révèle un mal-être plus profond par rapport au marché du travail.

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