Vente de Rafale à l'Inde : pourquoi le contrat peut encore piquer du nez
Dassault entre en négociations exclusives avec New Delhi pour la vente de 126 avions de combat. Si le contrat est conclu, il s'agira de la première exportation de Rafale. Mais il faut rester prudent...
Le Rafale a remporté une bataille, mais la guerre n'est pas terminée. La France espère que la négociation exclusive engagée par Dassault Aviation avec New Delhi pour la vente de 126 avions de chasse à l'armée de l'air indienne sera conclue dans six à neuf mois, explique, mercredi 1er février, Valérie Pécresse, la porte-parole du gouvernement. Mardi, l'heure était à l'euphorie au sujet de ce marché estimé à 12 milliards de dollars (9,11 milliards d'euros). Félicitations de Nicolas Sarkozy, l'action Dassault qui bondit de 20 % à la Bourse de Paris... Mais le Rafale a très longtemps été considéré comme le mal-aimé des avions de combat, il faut donc être prudent. Pourquoi Dassault est-il encore loin du "contrat du siècle" ? Réponse en trois points.
1/ Tout reste à faire
Mardi matin, Dassault n’annonce pas la signature d’un contrat juteux avec l’Inde, mais la décision du pays d’entrer en négociations exclusives avec l’industriel français pour l’achat de 126 Rafale. Il est donc prématuré de crier victoire, ce n’est que le début d'un processus de plusieurs mois avant la signature du contrat. Nicolas Sarkozy ne s’y est d’ailleurs pas trompé, et a évoqué "126 Rafale en dernière phase" de sélection en Inde. Le New York Times (article en anglais) estime que le "deal" est loin d’être signé. "Ce n’est pas la fin du jeu (…) Simplement le début d’une nouvelle étape de la compétition", rappelle un analyste financier cité par le quotidien américain.
D’autant que l'appel d'offres de l’Inde pour les 126 avions de chasse, lancé en 2007, a donné lieu à un surprenant retournement de situation : en avril 2009, l'Inde a annoncé que Dassault était exclu de la compétition, au motif que le Rafale n'avait pas rempli tous les critères requis lors des évaluations techniques. Cinq semaines plus tard, l’industriel a finalement été réintégré.
Il ne faut pas non plus négliger le fait que l’Inde est en position de force face à l’avionneur français, qui n’a pas encore réussi à exporter son avion de combat. Au cœur des négociations : la coopération industrielle entre l’industrie indienne et Dassault. "L'Inde est très exigeante concernant le niveau de participation qu'elle demande pour son industrie locale, et le bénéfice économique pour la France sur le long terme risque d'être au final limité", prévient Endre Lunde, consultant au sein d'IHS Jane's, un cabinet de conseil en aérospatial, défense et sécurité, interrogé par l’AFP.
2/ Le Rafale a déjà failli être acheté plusieurs fois
Produit d'un programme lancé à la fin des années 1980 pour uniformiser les forces armées françaises, le Rafale a essuyé revers sur revers et n’a, jusqu’à présent, jamais été vendu à l’étranger. Première déception en 2001 avec les Pays-Bas. En 2002, la Corée du Sud refuse l’avion français. Même chose pour Singapour en 2005, l’Arabie saoudite en 2006. A chaque fois, Dassault se fait doubler par des concurrents soit américains, soit britanniques. En 2007, c’est le fiasco du Rafale au Maroc. Cette fois, l’échec, sur un marché pourtant à priori acquis, est dû une erreur commise par les Français lors des négociations, comme le notait Le Monde.fr.
Le coup est plus dur encore avec le camouflet au Brésil en 2009. La vente de 36 Rafale est annoncée en grande pompe par Nicolas Sarkozy et le président brésilien de l’époque, Lula. Mais l'arrivée au pouvoir de la nouvelle présidente brésilienne, Dilma Rousseff, élue en janvier 2011, a suspendu la vente à un réexamen de l'appel d'offres. Et tout laisse à penser qu’elle semble pencher pour l’avion de combat de Boeing.
Plus récemment, en novembre 2011, la Suisse a rejeté une offre de Rafale. Encore raté en décembre : les Emirats arabes unis ont estimé que l’offre de Dassault est "non compétitive et ne constitue pas une base de travail", mettant fin aux espérances du gouvernement français. Confiant sur une conclusion positive, Gérard Longuet, ministre de la Défense, avait estimé en novembre que l’affaire en était à "l'étape finale d'une négociation très bien avancée".
Après cet enchaînement de revers cinglants, le Rafale est en sursis. Le même ministre de la Défense a finalement prévenu en décembre que "si Dassault ne vend pas de Rafale à l'étranger, la chaîne (de production) sera arrêtée".
3/ Si le contrat est conclu, seuls 18 avions seront construits en France
C’est ce transfert de technologies avec l’Inde, puissance émergente, qui fait grincer des dents en France. L'accord commercial en préparation stipule que New Delhi se fera livrer directement 18 avions en 2012, tandis que les 108 autres seront construits sur le sol indien. Le contrat inclut une clause de compensation de 50%. En clair, Dassault devra s'approvisionner à hauteur de la moitié du montant des ventes auprès de l'industrie indienne de la défense.
En France, l’opposition n’a d’ailleurs pas caché sa frilosité. "Ce transfert de technologie entraîne [la création] de concurrents dans un pays qui n'est plus du tiers-monde, qui est un pays émergent considérable", estime Paul Quilès, ancien ministre socialiste de la Défense. Les syndicats sont, eux, plus confiants. "L’assemblage, c’est une chose, explique Raymond Ducrest, délégué CFDT de Dassault Aviation interrogé par L’Usine nouvelle, la fabrication, c’en est une autre, cela va de toute façon regonfler le plan de charge."
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