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La France est-elle la "championne du monde de la grève" ?

À l’approche de la grève de jeudi 5 décembre contre la réforme du système des retraites, la question revient régulièrement : la France est-elle la "championne du monde de la grève" ? Une interrogation à laquelle il est difficile de répondre, tant les méthodes de comptage des mouvements sociaux varient entre chaque pays du monde.

Article rédigé par franceinfo - Romain Allimant
Radio France
Publié
Temps de lecture : 5min
Un laboratoire d’analyses médicales en grève, le 24 octobre 2019 (AURÉLIEN ACCART / FRANCEINFO / RADIO FRANCE)

C’est une idée largement répandue et partagée sur les réseaux sociaux, statistiques à l’appui : la France serait la "championne du monde de la grève". Deux études ressortent : l’une de l’Institut économique allemand de Cologne qui dit que la France fait plus la grève que tous les autres pays de l’OCDE et l’autre, de l’institut syndical européen (ETUI), qui place Chypre devant la France, deuxième, sur la période 2010-2017.

A chaque mouvement de protestation en France, des graphiques sont publiés pour montrer que les Français ont plus recours à la grève que les autres pays  (Capture d'écran Twitter)

La France championne du monde de la grève ? C’est plus compliqué que cela. La Cellule Vrai du Faux vous explique pourquoi il est difficile de décerner un tel titre.

Comment les jours de grève sont-ils comptabilisés en France ?

En France, il y a deux sources distinctes qui publient des chiffres sur la grève : la Direction de l'Animation de la recherche, des Études et des Statistiques (DARES), qui dépend du ministère du Travail, et la Direction générale de l’administration et de la fonction publique (DGAFP), qui appartient au ministère de l’Action et des comptes publics. La première comptabilise les jours de grève du secteur privé tandis que la seconde étudie la fonction publique. 

La DARES prend en compte toutes les entreprises de dix salariés ou plus du "secteur marchand non agricole". C’est-à-dire qu’elle couvre tout le secteur privé, hors l’agriculture. Depuis 2005, les données sont recueillies grâce à une enquête intitulée "Activité et conditions d’emploi de la main-d’œuvre (Acemo) sur le dialogue social en entreprises". Ces données ne sont donc qu’une estimation et non un chiffre officiel. Elles ne précisent pas le nombre de travailleurs en grève, ce qui signifie qu’on ne sait pas si les personnes non grévistes, mais qui n’ont pas pu travailler à cause d’un mouvement social, sont comptabilisées ou non.

De son côté, la DGAFP publie des chiffres sur le nombre de "journées perdues pour cause de grève interministérielle, ministérielle ou sectorielle dans la fonction publique de l’État". Elle comptabilise à la fois les différents ministères et d’autres organismes comprenant des agents publics comme la Caisse des dépôts, Orange ou La Poste. Pourtant, elle ne prend pas en compte les fonctions publiques territoriale et hospitalière. Les récents mouvements sociaux dans les hôpitaux ne seront donc par exemple pas comptés dans les chiffres de 2019.

Les études utilisent donc ces deux sources pour établir leurs statistiques, exprimées en journées non travaillées à cause d’un mouvement social (pour 1 000 habitants). À cause de cette séparation, les données réunies comprennent des imprécisions. L’ETUI explique lui-même que "les données de la DGAFP couvrent le secteur public et se chevauchent avec celles de la DARES pour les entreprises semi-publiques". Dans son rapport, la DGAFP précise, par exemple, que "les chiffres concernant La Poste et Orange ne distinguent pas les agents publics des salariés de droit privé." Ces derniers sont donc comptés deux fois. 

Ainsi, il y a une surestimation du nombre de journées non travaillées, puisque certains salariés sont comptés deux fois. Il y a également une sous-estimation, du fait de l’absence du secteur agricole et des fonctions publiques territoriale et hospitalière.

Et dans les autres pays ?

Chaque pays du monde possède différentes manières de compter les grèves, avec leurs spécificités propres. Le Royaume-Uni, la Suisse, la Norvège et de nombreux autres pays ne comptent pas les grèves qui durent moins d’une journée. Le Brésil et Israël ne prennent pas en compte les grèves de moins de dix jours. Depuis 2015, les États-Unis ne comptabilisent pas les grèves impliquant moins de 500 travailleurs. 

Les méthodes de comptage varient donc entre chaque pays du monde. L’Organisation Internationale du Travail (OIT), une agence de l’ONU, a essayé de mettre en place un tableau synthétisant toutes les statistiques sur les grèves. À titre d’exemple, le Danemark possède huit entrées dans ce tableau. Les statistiques séparent les secteurs agricole, industriel, public, commercial, de construction et de minage. Ce qui montre clairement la difficulté à obtenir un chiffre fiable et précis.

Le recours à la grève très utilisé en France, mais en baisse

S'il est impossible d'affirmer que la France est la championne du monde de la grève, les statistiques montrent bien que les Français ont une tendance à plus faire grève que dans les autres pays. Pourtant, le nombre de journées "perdues pour fait de grève" a tendance à baisser, notamment à cause de la diversification des moyens d’action, comme l’expliquait la Cellule Vrai du Faux en 2015. Ce changement est visible sur le graphique ci-dessous, qui montre l’évolution de la grève dans le secteur public. On y voit que le nombre de journées perdues pour cause de grève dans le secteur public baisse depuis 2010.

Évolution du nombre de jours perdus pour fait de grève interministérielle, ministérielle ou sectorielle dans la fonction publique de l'État depuis 1999. (DGFAP)

Sur ce graphique, on observe également deux pics de grève : en 2003 et en 2010. Ils correspondent tous deux à des manifestations contre une réforme des retraites.

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