: Tribune La Fondation Abbé-Pierre appelle à un grand plan national de lutte contre l’habitat indigne
Selon la fondation, ce sont aujourd'hui 600 000 logements qui seraient potentiellement indignes, soit environ un million de personnes exposées à des "risques pour leur santé et leur sécurité".
Deux mois après l'effondrement d'immeubles qui a fait huit morts dans le centre-ville de Marseille, la Fondation Abbé-Pierre publie mardi 8 janvier sur franceinfo une tribune appelant à un grand plan national de lutte contre l’habitat indigne. Elle entend "imposer des obligations de résultats qui contraindront tous les acteurs à mobiliser l’arsenal existant".
Le 5 novembre dernier, deux immeubles du centre-ville de Marseille s’effondraient, provoquant la mort de huit personnes et un sentiment d’effroi et d’indignation national. Les immeubles étaient en mauvais état, ils étaient dangereux, et cette situation était tout à fait connue des autorités.
Si fort heureusement cette issue tragique reste rarissime, les situations d’habitat dit "indigne" sont loin d’être exceptionnelles. Plusieurs incendies meurtriers ont témoigné ces dernières années de la gravité de la situation. Des ménages vivent parfois des années au milieu des étais, des cafards et des moisissures, avec la crainte d’un effondrement partiel du plafond ou du plancher… Aujourd’hui, ce sont ainsi 600 000 logements qui seraient potentiellement indignes, soit environ un million de personnes exposées à des "risques pour leur santé et leur sécurité". La moitié d’entre elles sont des locataires qui ne parviennent pas à se loger décemment dans un contexte de crise du logement ; l’autre moitié, des propriétaires pauvres. Issues de croisements statistiques, les estimations sont incertaines mais impressionnantes : 200 000 logements concernés dans la région des Hauts-de-France, 140 000 en Nouvelle-Aquitaine, 61 000 à Paris, 40 000 à Marseille, etc. Tous les territoires sont ainsi concernés : les centres villes anciens certes, mais aussi les parties isolées de nos campagnes.
Dysfonctionnements et incohérences
La gravité du sujet est donc aujourd’hui bien connue : des cas sont régulièrement signalés aux services compétents et un atlas de l’habitat "potentiellement indigne" est actualisé continuellement depuis près de vingt ans. Il doit en principe permettre aux autorités locales de se pencher sur les zones à risque…
Pourtant, sur le terrain, on constate des dysfonctionnements sidérants. A Paris, les locataires accompagnés restent en moyenne six ans avant qu’une solution ne soit trouvée, malgré leur signalement aux services compétents. En Seine-Saint-Denis par exemple, les exigences de l’administration pour financer les travaux de propriétaires occupants pauvres sont telles, que des familles restent pendant des années sans pouvoir financer des travaux. Autre point de blocage, depuis un an ces mêmes propriétaires ne peuvent plus compter sur l’allocation logement pour rembourser un prêt servant à financer les travaux, puisque que le gouvernement a supprimé ce droit malgré les multiples alertes.
Au-delà de ces incohérences notables, pourquoi la lutte contre l’habitat indigne est-elle si laborieuse, les résultats si minces ? Un arsenal impressionnant est pourtant en place : des moyens financiers conséquents de l’Anah, des dispositifs incitatifs pour les propriétaires prêts à s’engager dans un projet de travaux, des dispositifs et procédures coercitifs pour ceux qui refusent de bouger, différentes possibilités d’opérations adaptées aux différentes échelles (quartier, copropriété, logement individuel…), plusieurs plans nationaux lancés ces dernières années, ciblant les quartiers anciens, les copropriétés, les villes moyennes…
Pour les territoires qui s’en saisissent, tels que Paris, Bayonne ou le département de Loire-Atlantique par exemple, c’est un travail de longue haleine car le sujet est complexe. Ces territoires volontaires se heurtent encore à la complexité de procédures qui n’en finissent pas (elles devraient être simplifiées suite à la loi Elan), aux difficultés à organiser des solutions de relogement dans les villes les plus "tendues", ou encore aux situations sociales délicates de ménages qui nécessitent un accompagnement social ou juridique très fin et très long (il faut souvent compter deux à trois ans). Mais pour les territoires qui s’engagent dans la durée, c’est une lutte qui paye et qui permet de réduire l’habitat indigne, ou a minima, dans les zones les plus tendues, de contenir ce phénomène malheureusement alimenté en continu par la crise du logement qui fait rage, et dont profitent largement des propriétaires malintentionnés (avec les pavillons divisés en Île-de-France par exemple).
Les faibles résultats nationaux sont donc surtout à mettre sur le compte des très nombreux territoires qui n’agissent toujours pas, ou mal. Parce que les élus et responsables locaux refusent de reconnaître l’existence du problème ou ne mobilisent pas les moyens d’agir dont ils disposent.
Fondation Abbé-Pierre
Mais c’est aussi parce que l’Etat ne se montre pas assez offensif sur le front de l’habitat indigne (comme il l’est de plus en plus sur celui de la lutte contre la précarité énergétique ou de la production de logements sociaux via la loi SRU par exemple). Il doit dès maintenant engager et orchestrer un ambitieux plan national de lutte contre l’habitat indigne, qui fixe des objectifs nationaux appuyés sur l’atlas de l’habitat indigne : ce sont de l’ordre de 60 000 logements indignes qui doivent être rénovés chaque année, afin d’éradiquer l’habitat indigne en 10 ans. Pour cela, il faut exiger l’engagement des collectivités et imposer des obligations de résultats qui contraindront tous les acteurs à mobiliser l’arsenal existant. Il va sans dire que les moyens financiers consacrés à l’habitat indigne doivent parallèlement être significativement renforcés et pérennisés, pour permettre de travailler dans la durée et d’accompagner les occupants à la hauteur de leur besoin..
Car ce sont bien les habitants qui doivent rester au cœur des préoccupations. Dans les quartiers "populaires", la résorption de l’habitat indigne ne doit plus se faire au prix de leur éviction, comme cela se pratique couramment depuis la rénovation urbaine des années 1960. Dans le quartier Noailles de Marseille, comme ailleurs, ceux qui ont le plus souffert de l’habitat indigne doivent profiter des fruits de la rénovation, qui doit se faire avec eux et pour eux.
Pour la Fondation Abbé-Pierre, qui vient de se constituer partie civile dans l’enquête ouverte suite à l’effondrement d’immeubles à Marseille, la défense des personnes les plus fragiles et la lutte pour plus de justice sociale restent la priorité !
Fondation Abbé-Pierre pour le logement des défavorisés
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