Mal-logement : quand la copropriété vire au cauchemar
Dans son rapport annuel, la Fondation Abbé Pierre s'inquiète de la (mauvaise) gestion collective des immeubles en copropriété. 1,1 million, sur les 6 millions de copropriétés françaises, seraient dans une situation de déliquescence.
Qualifiées parfois de "bombe à retardement" ou "de parc social de fait", les copropriétés dégradées seraient plus d'1,1 million en France, selon le recensement de la Fondation Abbé Pierre, dans son rapport annuel publié vendredi 31 janvier. Et le phénomène semble en expansion, de façon discrète et parfois souterraine.
Quelles sont les caractéristiques de ces immeubles en crise sur les quelque six millions de copropriétés que compte l'Hexagone ?
Des constructions qui laissent à désirer
Il s'agit souvent "de bâtiments construits entre 1949 et 1974, à l'époque des Trente Glorieuses. C’est le bâti le plus fragile en terme de qualité", explique Patrick Doutreligne, le délégué général de la Fondation Abbé Pierre, à francetv info.
Du vite fait mal fait ? "Il y a surtout que les normes thermiques n’étaient pas une préoccupation à l'époque car le fuel n’était pas cher, nuance-t-il. Cette question d'isolation thermique, on l'a regardée de près après le choc pétrolier de 1973."
"Si l'on connait bien, poursuit-il, les grands paquebots comme Grigny ou Cergy-Pontoise avec des copropriétés catastrophiques, on connait moins ces immeubles qui ont entre 50 et 100 appartements. Et on sait très peu ce qui se passe à l’intérieur. Parfois les gens n’y prennent plus l’ascenseur depuis deux ou trois ans."
Un coût du logement à la limite du supportable
Le problème est connu. Selon une enquête de la Fondation dans 300 copropriétés dégradées, les charges sont parfois à la limite du supportable. "Le coût lié au logement représente en moyenne 44% des ressources des ménages enquêtés, ce taux apparaissant élevé quel que soit le statut d'occupation, y compris pour les propriétaires ayant fini de rembourser leurs prêts. Les occupants pauvres et modestes, notamment accédants et locataires, y consacrent même plus de 60% de leur revenu", note-t-elle dans son rapport.
Or, et c'est peu connu, souligne encore la Fondation, "le parc en copropriété accueille une part non négligeable de ménages parmi les plus modestes" (17% de ménages modestes et très modestes parmi les propriétaires occupants et 17% de ménages sous le seuil de pauvreté parmi les locataires, selon un rapport (PDF) de l'Agence nationale de l'habitat (Anah) paru en janvier 2012.
Et les difficultés s'accumulent : "Dans une copropriété de 50 lots, si cinq ou dix copropriétaires ne paient pas leurs charges, le poids devient trop lourd pour les autres. D’où des réparations non effectuées. Dès que vous avez une copropriété qui se dégrade, vous êtes dans une nasse. Si ça se dégrade, c’est invendable", détaille Patrick Doutreligne.
Une paupérisation parfois très rapide
A quoi peut ressembler une spirale cauchemardesque dans une copropriété ? Magali Launay, du collectif Inter copropriétés, une association qui vient en aide à des copropriétaires à Marseille, raconte ce cas, dont elle s'est occupé. "En 2008, le bâtiment fonctionnait correctement, mais la paupérisation peut être très rapide. Aujourd'hui, il n'y a plus ni eau chaude ni chauffage depuis 2012."
Les causes sont multiples. Un syndic en semi-faillite laisse la copropriété à l'abandon en 2011. Bailleurs pour la plupart, bon nombre de copropriétaires sont aux abonnés absents du conseil syndical. S'y ajoute le dysfonctionnement lié au bâti.
Quand le nouveau syndic arrive à la mi-2011, avec zéro crédit et aucun document comptable, "les créanciers et en particulier GDF réclament les factures impayées, explique Francis Ferrero, un des copropriétaires bailleurs désormais président du conseil syndical remis sur pied. Celles-ci sont réglées pendant une année mais GDF finit par couper le gaz en 2012, réclamant toujours son dû d'avant-2011. Les familles se retrouvent sans eau chaude ni chauffage, installant parfois à leurs frais des radiateurs électriques."
Avec l'intervention de la mairie de Marseille et diverses subventions, la copropriété va bénéficier d'une aide qui devrait lui permettre enfin de retrouver dans les jours qui viennent gaz et chauffage, et d'engager les travaux nécessaires. Et la Société des Eaux de Marseille a accepté de ne pas couper l'eau ...
Investisseurs et marchands de sommeil à l'affût
Mais le problème est explosif puisque, souligne la Fondation Abbé Pierre, ces copropriétés dégradées accueillent des locataires ou des accédants économiquement fragiles, qui n'ont pas trouvé ailleurs où se loger. Des copropriétaires par défaut qui acceptent un lot pas très cher et arrivent dans des copropriétés avec de lourds problèmes d’endettement.
"A Marseille, renchérit Magali Launay, il y a un souci de production du logement social, on est très en deçà de la demande". D'où l'intervention, dans ces copropriétés, continue-t-elle, "d'investisseurs immobiliers qui acquièrent des appartements à très bas coût pour 20 à 30 000 euros, parfois à moins de 10 000 euros dans le cadre des saisies, alors qu'ils peuvent les louer de 600 à 1 000 euros."
Pour ces copropriétés dégradées, qui demandent de conjuguer action publique et privée et de réimpliquer propriétaires et locataires dans la gestion collective, la Fondation Abbé Pierre n'a pas de solution miracle. Mais elle demande au gouvernement de réfléchir à cette réalité : les copropriétés dégradées sont souvent les dernières solutions pour les exclus du parc privé et des logements sociaux.
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