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"CumEx Files" : cinq questions sur l'affaire d'évasion fiscale qui a fait perdre plus de 55 milliards aux pays européens

Via des mécanismes d'optimisation fiscale, des banques ont permis à des investisseurs étrangers de payer moins d'impôts. Les pays européens concernés auraient perdu plus de 55 milliards d'euros, selon une enquête conjointe menée par 19 médias.

Article rédigé par franceinfo
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Des traders scrutent leur écran, le 24 juin 2016, à la Saxo Bank, à Paris. (THOMAS SAMSON / AFP)

La note est faramineuse. Les pays européens ont perdu quelque 55 milliards d'impôts depuis 2001 à cause de deux manipulations financières sur les dividendes, selon les révélations de 19 médias, dont le journal Le Monde (article payant), publiées jeudi 18 octobre. L'estimation de la somme se fonde à la fois sur une méthode d'évasion fiscale légale (baptisée "CumCum") et sur une pratique frauduleuse (nommée "CumEx"). Mises en place par des financiers avec l'aide de grandes banques, ces deux manœuvres ont été révélées en Allemagne en 2012, mais dont on découvre toute l'ampleur aujourd'hui.  

1C'est quoi cette nouvelle affaire ?

Pour comprendre cette affaire, il faut d'abord expliquer la pratique du "CumCum", une opération d'optimisation fiscale qui joue sur la différence de fiscalité entre investisseurs nationaux et étrangers. A l'image des contribuables qui payent un impôt sur leurs revenus, chaque investisseur étranger est taxé sur les dividendes qu'il touche sur les investissements qu'il réalise. En France, cette taxe s'élève généralement à 15%, même si elle peut varier en fonction de la nationalité de l'actionnaire. 

Pour alléger la facture ou pour échapper à l'impôt, les investisseurs étrangers revendent brièvement leurs titres à des banques nationales (ou à d'autres actionnaires) à l'approche du jour de versement des dividendes. Cela leur permet d'échapper à la ponction liée au versement de ses bénéfices. Personne n'est donc taxé et les investisseurs récupèrent quelques jours plus tard leurs actions ainsi que les dividendes associés. Au passage, les banques se servent en prenant une commission. L'administration fiscale n'y voit que du feu et en bout de chaîne, ce sont le fisc et les contribuables qui sont les grands perdants. 

2C'est donc une pratique légale ?

Le "CumCum" est effectivement une pratique légale dans la plupart des pays européens, même si certains comme l'Allemagne ont commencé à légiférer sur la question. En France, les techniques des traders, qui consistent à acheter ou vendre une action pour une courte durée, n'ont rien d'illégal. Et c'est à l'administration de démontrer que ces opérations ont une visée exclusivement fiscale pour sanctionner un éventuel abus, ce qui se révèle extrêmement difficile.

Mais concernant les dividendes, il existe une autre pratique qui se révèle pour le coup frauduleuse. Celle-ci est nommée "CumEx". Elle consiste à s'échanger très rapidement et en quantité des actions autour du jour de versement du dividende, si vite que l'administration fiscale n'identifie plus le véritable propriétaire. La manipulation permet de revendiquer plusieurs fois le même crédit d'impôt sur les bénéfices attaché au dividende, pour tromper ainsi le fisc. L'escroquerie a été découverte en 2011, grâce à la vigilance d'une inspectrice des impôts allemande, mais elle a perduré dans plusieurs pays européens. La France y a échappé ces dernières années, car elle ne permet plus, depuis 2005, le système des avoirs fiscaux.

3Quelles sont les sommes en jeu ?

L'ensemble de ces manipulations aurait coûté environ 55 milliards d'euros d'impôts depuis 2001, selon l'estimation des médias. Outre l'Allemagne, pays de loin le plus touché, l'affaire concerne la France, l'Espagne, l'Italie, les Pays-Bas, le Danemark, la Belgique, l'Autriche, la Finlande, la Norvège et la Suisse. 

L'escroquerie du "CumEx" aurait coûté 7,2 milliards d'euros à l'Allemagne, 1,7 milliard au Danemark et 201 millions d'euros à la Belgique. Mais le gros de la facture, un peu plus de 46 milliards d'euros, est lié à la pratique d'optimisation du "CumCum". Selon les estimations des médias, le mécanisme a notamment coûté 24,6 milliards d'euros à l'Allemagne, 17 milliards à la France et 4,5 milliards à l'Italie, entre 2001 à 2017.

Avec cette pratique, la France continuerait à perdre environ 3 milliards de recettes fiscales par an, estime Le Monde (article payant). C'est un peu plus que le budget de la Culture et c'est 1 milliard de plus que le budget annuel du plan pauvreté d'Emmanuel Macron.

4Qui sont les responsables de ces pratiques ?

Concernant le "CumEx", le mécanisme est attribué à un avocat allemand, Hanno Berger, un ancien haut fonctionnaire des impôts reconverti en conseiller fiscal. Il est d'ailleurs désormais visé par l'une des enquêtes pénales ouvertes en Allemagne. Mais pour "industrialiser" cette fraude, il s'est appuyé sur d'autres financiers et sur la collaboration de certaines banques notamment françaises, comme le détaille Le Monde (article payant). En réponse aux révélations du quotidien, BNP Paribas a choisi de ne pas faire de commentaire et la Société générale assure que sa direction "n’avait connaissance d’aucun schéma frauduleux au sein de l’établissement".

Dans le cas de l'arbitrage de dividendes nommé "CumCum", de nombreux acteurs sont également impliqués entre les actionnaires, les financiers et les établissements bancaires. En France, Le Monde assure que les trois principales banques (BNP Paribas, Crédit agricole et Société générale) ont eu recours à cette pratique.

5Mais les gouvernements ne font rien ?

Dans le cas de la fraude du "CumEx", les pays concernés ont mis plus ou moins de temps à réagir. Une fois avertis, les députés allemands ont voté une réforme entrée en vigueur au 1er janvier 2012. Plusieurs enquêtes pénales ont été également ouvertes. De son côté, le fisc norvégien a expliqué à l'AFP avoir découvert une fraude en 2013 et avoir déjoué plusieurs tentatives ultérieures. Le pays a depuis renforcé ses contrôles.

En France, le problème du "CumCum" est connu depuis plusieurs années, mais il faudrait une nouvelle loi pour l'interdire. "Les problèmes sont parfaitement identifiés par l'administration fiscale française. Si les infractions sont confirmées, nous serons intraitables", a déclaré le ministre des Comptes publics, Gérald Darmanin. Sollicitée par l'AFP, l'administration fiscale française a refusé de confirmer ou commenter les chiffres avancés par les médias qui ont publié l'enquête. "Il ne s'agit pas d'un problème d'ampleur", a toutefois assuré le fisc.

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