Nomination à la Banque de France : "Il y avait des tas d'autres candidats plus légitimes" que Villeroy de Galhau
Francetv info a interrogé l'une des trois économistes à l'origine de la tribune dénonçant la nomination, à la tête de la Banque de France, de l'ancien directeur général délégué de BNP Paribas.
Quelque 150 économistes signent une tribune dans Le Monde (article payant), mardi 15 septembre, pour dénoncer la décision de François Hollande de nommer François Villeroy de Galhau au poste de gouverneur de la Banque de France. Les signataires reprochent le manque d'indépendance de cet énarque de 56 ans, directeur général délégué de BNP Paribas de 2011 à avril 2015. Ils demandent aux parlementaires, qui doivent l'auditionner le 29 septembre, de rejeter la proposition du chef de l'Etat. Francetv info a interrogé Laurence Scialom, professeur d'économie à l'université Paris Ouest Nanterre-La Défense, l'une des trois économistes à l'origine de cette tribune.
Que reprochez-vous à François Villeroy de Galhau ? Pourquoi n'est-il pas, selon vous, la bonne personne pour ce poste ?
Nous ne reprochons absolument rien à M. Villeroy de Galhau personnellement. Simplement, la Banque de France est une institution très prestigieuse, et la personne nommée doit remplir deux critères. D'abord, celui de l'expertise : de ce point de vue, il franchit incontestablement l'obstacle, puisque c'est un expert de ce secteur, au sein duquel il a passé douze années, notamment comme directeur de BNP Paribas, la plus grande banque systémique française.
Mais il ne respecte pas la seconde condition qui, à notre sens, est essentielle : l'indépendance. Un gouverneur doit être indépendant non seulement du pouvoir politique, mais également à l'égard du secteur qu'il est censé réglementer.
Or, lorsqu'il était dirigeant de banque, François Villeroy de Galhau a défendu – ce qui est tout à fait naturel – les positions du lobby bancaire. A-t-il changé d'avis depuis six mois ? Est-il désormais prêt à défendre des positions d'intéret général et non celles du système bancaire ? Le simple doute sur ce point invalide, à notre sens, sa candidature.
D'autres candidats étaient-ils mieux placés, selon vous ?
Oui, il y avait des tas d'autres candidats légitimes. Benoît Cœuré [membre du directoire de la Banque centrale européenne] était l'une des personnalités possibles, mais on aurait également pu faire appel à un universitaire, comme c'est le cas dans d'autres pays. Aux Etats-Unis, la gouverneure de la Réserve fédérale, Janet Yellen, est une économiste de renom, tout comme son prédécesseur, Ben Bernanke. En France, on préfère privilégier les candidats issus de la haute administration.
Selon certains économistes, il n'y aurait pas de conflit d'intérêts car de nombreuses décisions se prennent désormais à la BCE (Banque centrale européenne), à Francfort...
C'est le grand argument du lobby bancaire : pourquoi se bat-on tant sur cette question puisque, de toute manière, avec le mécanisme de supervision unique et le mécanisme de résolution unique, les pouvoirs sont à Francfort ou à Bruxelles ?
C'est en partie vrai, mais le gouverneur va continuer à avoir un pouvoir d'influence excessivement fort, y compris dans les instances chargées de superviser les banques. En outre, le gouverneur va défendre la position de la France dans les instances internationales qui s'occupent des questions de réglementation bancaire.
Il y a un consensus dans les travaux académiques sur le fait qu'un système bancaire hypertrophié pèse sur la croissance et phagocyte l'économie réelle. Et qui est-ce qu'on désigne pour défendre la question des réglementations bancaires ? Quelqu'un qui est issu du sérail, qui plus est de la plus grande banque française. Il y a un problème.
Avez-vous été surprise du succès rencontré par votre tribune auprès des économistes ?
Absolument, d'autant que tout cela est allé très vite. La proposition de nomination du président de la République a été formulée la semaine dernière. Nous avons immédiatement réagi, avec deux de mes collègues, en écrivant une tribune que l'on a soumise à quelques personnes, puis nous avons été chercher les signatures.
Nous ne voulions pas apparaître comme une sorte de groupuscule anti-banques, donc on a balayé tout le spectre de nos collègues. Et nous avons recueilli les signatures d'économistes de toutes sensibilités, y compris de certains qui ne s'investissent pas particulièrement dans le débat public, mais qui sont très reconnus dans le champ économique.
Les seuls qui ont refusé de signer l'ont fait non pas parce qu'ils étaient en désaccord avec les principes défendus dans la tribune, mais parce qu'ils y ont vu un texte trop en faveur de Benoît Cœuré. Ce n'était pas du tout notre objet. Si on l'a évoqué en creux, c'est parce que dans la dernière ligne droite, deux noms ressortaient : celui de François Villeroy de Galhau et le sien.
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