"Nous voulons ouvrir les portes", nous a expliqué Philippe Askenazy, signataire de l'appel des "économistes atterrés"
Philippe Askenazy a signé avec d'autres économistes un appel, un brin provocateur puisqu'il a pris pour nom les "économistes atterrés", pour dénoncer l'absence de débats en France et en Europe sur les choix économiques en vigueur après la crise.
"Ce débat est bien moins avancé qu'aux Etats-Unis", nous a-t-il affirmé.
"Nous avons constaté avec les autres signataires de l'appel, que deux ans après la crise il n'y a pas eu de réformes globales de la sphère financière et que, à côté de cet immobilisme, on nous répète qu'il faut faire des réformes basées sur la réduction des dépenses publiques", explique Philippe Askenazy, chercheur au CNRS et à l'Ecole d'Economie de Paris.
"En lançant ce manifeste, l'idée est que les économistes prennent leurs responsabilités en ouvrant un débat scientifique et démocratique sur les causes de la crise et sur les politiques publiques qu'il faut mener, ajoute Philippe Askenazy qui constate que le débat est beaucoup plus ouvert aux Etats-Unis qui "mènent une politique beaucoup moins restrictive que celle de l'Europe". (sur cette question, on peut lire les articles -en anglais- de Stiglitz ou Krugman qui ont une vision très critique des choix européens en matière économique).
Un manifeste
"La crise économique n'a pas affaibli la domination des schémas de pensée qui orientent les politiques économiques" écrivent ainsi plusieurs économistes de renom dans cet appel qu'ils ont signé "les économistes atterrés".
Pour ceux qui ont un doute sur leurs orientations, ils affirment dans leur manifeste: "le pouvoir de la finance n'est pas remis en cause. En Europe, au contraire, les Etats, sous la pression des institutions européennes et internationales et des agences de notation, appliquent avec une vigueur renouvelée des programmes de réformes et d'ajustements structurels qui ont dans le passé montré leur capacité à accroître l'instabilité économique et les inégalités sociales".
Qui sont ces "économistes atterrés": ils sont déjà 630 (selon la liste actualisée des signataires) avec à l'origine de cet appel des grands noms de l'économie comme Philippe Askenazy, CNRS ; Thomas Coutrot, conseil scientifique d'Attac ; André Orléan, CNRS, EHESS, président de l'Association Française d'Economie Politique ; Henri Sterdyniak, OFCE.
Et ce n'est pas tous les jours qu'on entend des économistes tenir un langage aussi direct: "Le nombre de fonctionnaires diminue partout, menaçant le bon fonctionnement des services publics (éducation, santé...). Ces mesures sont irresponsables d'un point de vue politique et social, et même au strict plan économique, puisqu'elles vont maintenir les pays européens dans la récession. La construction européenne elle-même est menacée. L'économie devrait y être au service de la construction d'un continent démocratique, pacifié et uni. Au lieu de cela, une forme de dictature des marchés s'impose partout".
But de cet appel, "vivifier la réflexion sur les alternatives aux politiques actuelles, qui menacent les fondements mêmes de l'idée européenne", écrivent les signataires.
Des propositions
Nos économistes "atterrés" ne font pas que dénoncer. Ils proposent des solutions résumées sous forme de 22 propositions.
Ces propositions consistent notamment, à partir d'une analyse critique du système en fonctionnement dans l'économie mondiale depuis une trentaine d'années, de "réduire l"inefficience et l"instabilité des marchés financiers". Ils s'attaquent ensuite aux dogmes selon lesquels "les marchés financiers sont favorables à la croissance économique" ou que "l'envolée des dettes publiques résulte d'un excès des dépenses" avec son inséparable corollaire "il faut réduire les dépenses pour réduire la dette publique".
Exemples de mesures proposées: "accroître fortement l"imposition des très hauts revenus pour décourager la course aux rendements insoutenables", "réduire la dépendance des entreprises vis-à-vis des marchés financiers", "affranchir les États de la menace des marchés financiers en garantissant le rachat des titres publiques par la BCE", "Maintenir le niveau des protections sociales, voire les améliorer (assurance-chômage, logement…), "redonner un caractère fortement redistributif à la fiscalité directe sur les revenus (suppression des niches, création de nouvelles tranches et augmentation des taux de l"impôt sur le revenu…)", "supprimer les exonérations consenties aux entreprises sans effets suffisants sur l"emploi"...
L'Europe est bien entendu prise en compte dans leur analyse. Ils estiment ainsi que l"Europe ne défend pas le modèle social européen" et proposent de "remettre en cause la libre circulation des capitaux et des marchandises entre l"Union européenne et le reste du monde, en négociant des accords multilatéraux ou bilatéraux si nécessaire". Ils avancent aussi l'idée de "développer une fiscalité européenne (taxe carbone, impôt sur les bénéfices, …) et un véritable budget européen pour aider à la convergence des économies et tendre vers une égalisation des conditions d"accès aux services publics et sociaux dans les divers États membres sur la base des meilleures pratiques".
Un colloque
Atterrés mais pratiques, les signataires de ce manifeste organisent un colloque qui se tient samedi 9 octobre à Paris (75006). Le colloque sera introduit par Philippe Askenazy et s'organisera autour de trois tables rondes: régulation financière, dette et austérité en Europe et croissance, emploi, solidarités. Pour Philippe Askenazy, ce colloque est fait pour montrer qu'"il y a matière à débat entre économistes, et on verra alors quelles prescriptions les économistes peuvent donner".
Renseignements : http://www.atterres.org/?q=node/3
et 06-24-56-79 ou 06-03-10-85-06
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