Présidentielle 2022 : pourquoi franceinfo se focalise sur le coût du logement
En trente ans, la part du logement dans la dépense de consommation des ménages français est passée de 20 à 28,5%, loin devant l'alimentation et les transports.
Cet article fait partie de notre opération "Les focus de franceinfo", qui met en avant des sujets-clés peu traités dans la campagne présidentielle : le coût du logement, la crise de l'hôpital public, le tabou de la santé mentale et l'empreinte carbone des transports.
Les prix flambent et nous regardons ailleurs. Depuis le début de la campagne présidentielle, le pouvoir d'achat s'impose comme la préoccupation principale des Français. Pourtant, le logement, premier poste de dépense des ménages, reste peu évoqué dans les discours. Trop technique, trop abstrait, trop ennuyeux ? Pas si sûr.
A quelques semaines du premier tour de l'élection présidentielle, franceinfo inaugure une série de "focus". Quatre dossiers, composés de reportages et d'analyses, sur des sujets parfois eclipsés du débat public. Voilà pourquoi franceinfo a choisi de se pencher sur le coût du logement, au même titre que la crise de l'hôpital public, le tabou de la santé mentale et l'empreinte carbone des transports.
Pourquoi franceinfo en parle
Le coût du logement n'est pas qu'un sujet de dissertation pour économistes. C'est avant tout un enjeu de qualité de vie pour les Français. Si vous avez le sentiment de voir votre pouvoir d'achat fondre, c'est en partie parce que se loger coûte de plus en plus cher. Entre 1990 et 2020, la part du logement dans la dépense de consommation finale des ménages est passée de 20 à 28,5%, loin devant l'alimentation et les transports, selon l'Insee.
Tous les Français n'ont pas subi cette hausse de la même manière. La part des revenus consacrée à l'habitat est presque trois fois supérieure chez les locataires du parc privé que chez les propriétaires ayant déjà remboursé leur crédit immobilier. L'écart se creuse encore plus en fonction du niveau de vie : les dépenses de logement des locataires pauvres et modestes correspondent à 45% de leurs revenus, alors que ce "taux d'effort" n'est que de 7% pour les propriétaires aisés libérés de leur emprunt, rapporte l'Insee.
Le problème du coût du logement est aussi un enjeu de cohésion sociale. Ces derniers mois, la Fondation Abbé Pierre a alerté sur le risque d'une prochaine "crise majeure", tandis que l'Union sociale pour l'habitat a prévenu le futur président qu'il aurait "une crise du logement à gérer dans le prochain quinquennat". La candidate LR, Valérie Pécresse, s'en est elle-même inquiétée.
"Nous nous dirigeons tout droit vers l'une des plus graves crises du logement depuis 1954."
Valérie Pécresse, candidate à la présidentielleen conférence de presse
Cette fameuse crise se traduit déjà par une augmentation des inégalités de patrimoine. Depuis vingt ans, la plupart des propriétaires, surtout les plus aisés dans les métropoles, ont vu leurs biens prendre de la valeur. Dans le même temps, les prix des loyers ont progressé plus vite que les revenus des locataires. "On se retrouve avec deux catégories de personnes, schématise l'économiste Pierre Madec. Celles qui profitent de l'envolée pour se constituer un patrimoine plus important, qu'elles pourront transmettre, et celles qui se retrouvent à payer un loyer toute leur vie, avec une capacité d'épargne parfois attaquée par la hausse du taux d'effort, notamment à la retraite."
Le chiffre : 125% de hausse des prix en vingt ans
En vingt ans, les prix des logements à l'achat ont bondi d'environ 125%, selon l'Insee. L'inflation, elle, n'a été que de 30%. Le rêve de la propriété s'éloigne pour une partie des catégories populaires, voire moyennes, qui pouvaient jusqu'ici y prétendre. "Les propriétaires pauvres sont devenus une espèce en voie de disparition", confirme Pierre Madec, chercheur à l'Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE). Depuis 2010, la part des ménages propriétaires de leur résidence principale stagne à 58%, après des décennies de hausse, note l'Insee.
Dans les territoires les plus peuplés, les Français contraints de rester locataires, souvent jeunes, doivent se tourner vers un parc privé aux loyers élevés ou un secteur social submergé de demandes. Certains en sont réduits à vivre chez des proches, d'autres à la rue. En dix ans, le nombre de personnes sans domicile, estimé aujourd'hui à 300 000, a doublé. La France compte désormais 4,1 millions de mal-logés, selon la Fondation Abbé Pierre.
La question du coût du logement ne se pose pas que dans les métropoles. La crise du Covid-19 et le développement du télétravail ont encouragé un mouvement d'exode vers des villes plus petites. Cette pression immobilière nouvelle pousse certains résidents hors de leur commune d'origine, notamment sur les littoraux.
La question à se poser : pourquoi les prix du logement ont-ils tant augmenté ?
La hausse peut s'expliquer par la loi de l'offre et de la demande. En vingt ans, la population française est passée de 61 millions à près de 68 millions d'habitants. Dans le même temps, la structure des ménages a évolué, avec moins d'unions, davantage de séparations et des ménages plus petits : le cliché "un couple dans un logement" tend à devenir "deux célibataires dans deux logements". Il a donc fallu loger de plus en plus de ménages. Côté portefeuille, les Français ont aussi vu leurs capacités de financement s'améliorer, grâce à des taux d'intérêt historiquement bas et des durées d'emprunt plus longues. Mais cela a aussi eu un effet pervers.
"Les conditions de crédit sont devenues très avantageuses. Cela a permis aux gens de s'endetter beaucoup, et donc d'acheter plus cher."
Pierre Madec, économiste spécialiste du logement à l'OFCEà franceinfo
Face à cette demande accrue, la variable d'ajustement a été le prix des biens immobiliers. Une telle flambée n'aurait pas eu lieu si l'offre de logements avait été pléthorique, ce qui est loin d'être le cas, surtout dans les zones tendues. La France compte certes davantage de logements que de ménages, mais une partie de ces logements sont vacants, utilisés comme résidences secondaires ou destinés à la location touristique.
"Il y a un manque cruel en France de production de logements neufs. Mécaniquement, ça nous fait monter les prix."
David Ambrosiano, président du Conseil supérieur du notariatà franceinfo
La nécessité de construire davantage fait consensus, mais dans les faits, les chiffres ne suivent pas. "Le rythme de construction s'est ralenti ces dernières années", avec une baisse de plus de 8% entre les périodes 2008-2013 et 2013-2018, note l'Observatoire des territoires. Malgré la promesse d'un "choc de l'offre", le quinquennat d'Emmanuel Macron a été marqué par un nouvel affaissement des mises en chantier.
Facteur aggravant, construire coûte de plus en plus cher, du fait notamment des tensions foncières, des coûts croissants des matériaux et des normes énergétiques. L'objectif environnemental de "zéro artificialisation nette" des sols contribue à la hausse du foncier et doit inciter à renforcer la réhabilitation des bâtiments existants.
Qu'en disent les candidats à la présidentielle ?
Longtemps absent des débats, le logement a eu droit à un coup de projecteur, début février, à l'occasion de la publication du rapport annuel de la Fondation Abbé Pierre sur le mal-logement en France. L'association a interrogé plusieurs candidats sur les réponses qu'ils entendent apporter à la crise annoncée. Depuis, le sujet est évoqué de manière épisodique.
Sur le fond, les prétendants déclarés à l'Elysée proposent d'actionner différents leviers pour réduire le coût du logement. A gauche, la priorité est globalement donnée à la construction de nouveaux logements sociaux, à une régulation renforcée du marché privé et à une revalorisation des aides versées aux ménages. Jean-Luc Mélenchon et Yannick Jadot proposent ainsi de rehausser à 30% le quota de logements sociaux dans les villes. Fabien Roussel envisage la construction de 200 000 logements de ce type par an, tandis qu'Anne Hidalgo fixe cet objectif à 150 000. La candidate socialiste envisage aussi un "bouclier logement", c'est-à-dire une allocation qui permettrait à chacun de ne pas avoir à "dépenser plus du tiers de ses revenus pour se loger". Malgré le coût des travaux, la rénovation énergétique est aussi mise en avant par certains candidats comme une source d'économies potentielles.
A droite et à l'extrême droite, on insiste davantage sur l'accession à la propriété. Valérie Pécresse espère notamment relancer la "France des propriétaires" par une généralisation du prêt à taux zéro. Sur le même thème, Eric Zemmour promet une suppression partielle des frais de notaire pour les primo-accédants. Nicolas Dupont-Aignan souhaite le doublement du nombre de nouveaux propriétaires chaque année à travers l'élargissement du prêt à taux zéro ou le développement du contrat de location-accession pour les logements sociaux. Quant à Marine Le Pen, elle défend des prêts immobiliers au-delà d'une durée de vingt-cinq ans, ainsi que la création d'un fonds de garantie des loyers pour protéger les propriétaires.
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