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Prêts toxiques d'une filiale de la BNP : neuf ans après, la dette de milliers d'emprunteurs explose

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Article rédigé par franceinfo, Anne-Laure Chouin - Edité par Cécile Mimaut
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Le prêt immobilier Helvet Immo, au taux d’intérêt très avantageux mais indexé sur le franc suisse, a permis à une filiale de la BNP d’enrôler les emprunteurs dans une dette interminable.

Des prêts très attractifs et présentés sans risque qui se sont avérés toxiques. Et, à l'arrivée, près de 5 000 particuliers endettés à vie : c'est la conséquence de la commercialisation de produits d'épargne très particuliers, entre 2008 et 2009. Franceinfo a mené l'enquête sur ces crédits aujourd'hui interdits et sur BNP Paribas-Personal Finance, la filiale consommation de la BNP, plus connue via l’appellation Cetelem.

En mars 2008, BNP Paribas-Personal Finance propose à ses clients le crédit Helvet Immo. Un nouveau prêt immobilier au taux d’intérêt très avantageux, qui permet à l'emprunteur d'investir dans la location et de défiscaliser en louant le bien acheté. Problème : Helvet Immo est indexé sur le franc suisse, une devise dont le cours fluctue à la hausse. Les emprunteurs n'étaient pas au courant avant de signer, c'est pourtant ce qui va les endetter de manière exponentielle. 4 655 particuliers sont concernés.  

On ne sait pas où cela va s'arrêter et si on va devoir s'endetter toute notre vie 

Brice Gay, l'un des emprunteurs floué

à franceinfo

Pour 150 000 euros empruntés il y a neuf ans, il reste à Brice Gay encore aujourd'hui 220 000 euros à rembourser. Pour encourager les prêts de 5 000 personnes qui, comme lui, ont souscrit, les conseillers leur proposent des taux d’intérêts un point en-dessous de la moyenne de l'époque, soit 4% environ. Derrière cet argument attirant, l'offre est très difficile à comprendre. Brice Gay, qui travaille dans le marketing, souhaite en savoir plus. "Un conseiller m'a expliqué qu'il n'y avait aucun risque en écrivant plusieurs fois sur une feuille blanche le terme 'fixe' : la mensualité serait fixe, le taux d'intérêt serait fixe..."

Le document explicatif d'un conseiller qui insiste sur le fait que les taux du prêt Helvet Immo resteront fixes. (TOUS DROITS RÉSERVÉS)

Mais ces explications omettent le fait que le montant du prêt va varier selon la courbe du franc suisse. Cette "particularité est cachée", dénonce Me Charles Constantin-Vallet, l’avocat d’une partie des emprunteurs qui ont porté plainte. Conséquence : "La dette des emprunteurs dérive selon un taux de change. Elle a augmenté de 40% à 50% alors qu'ils remboursent depuis 2008-2009."

Dans un premier temps, Brice Gay ne s’en aperçoit pas car ses mensualités ne changent pas. Ce n'est que deux ans plus tard qu'il comprend : "Un conseiller me dit : 'Tu as signé une bombe à retardement'."

Je suis tombé des nues, je n'avais pas conscience d'avoir pris un tel risque en signant un crédit immobilier

Brice Gay, l'un des emprunteurs floué

à franceinfo

En 2008 et 2009, la situation ne fait qu'empirer. Le franc suisse n'arrête pas de monter par rapport à l’euro et la dette grimpe. Les clients se retrouvent dans un piège sans savoir s’ils pourront en sortir. Alors que la filiale de BNP Paribas s'est protégée en souscrivant une "assurance de couverture des risques de changes", ce n'est pas le cas des emprunteurs. "C'est le métier d'une banque, elle s'assure naturellement. Cette assurance n'a évidemment pas été proposée aux emprunteurs. Elle aurait pu l'être, mais ça aurait majoré le taux du prêt. C'est une donnée importante de ce litige", explique Me Stéphane Szames, l'un des avocats des plaignants. 

Au-delà des conséquences financières, il y a les retombées psychologiques pour les clients de la banque qui se sont fait flouer. "J'en ai été malade au sens littéral du terme, raconte Jérôme Touzet, un autre emprunteur. Il m'a fallu de l'aide médicamenteuse et du temps". Quant à Brice Gay, il parle de "grosses angoisses". "Je me disais que mon entourage allait me juger."

Des marges faibles et une concurrence féroce propices aux produits toxiques

"Au début des années 2000, le marché du crédit explosait, on pensait qu'il n'y aurait plus de crise, explique Emmanuel Fruchard, expert indépendant en mathématiques et finances. Dans le même temps, les marges se sont resserrées sur les produits les plus standards". Le prêt Helvet Immo est proposé en 2008, juste avant la crise des subprimes, les banques cherchent alors à augmenter leurs marges, mais la concurrence est très forte. "Les marges pouvaient être 10 fois plus grandes", poursuit Emmanuel Fruchard.

Mais ces produits sont également de plus en plus risqués, une notion bien intégrée par les banques souligne Myriam Roussille, professeur de droit à l’université du Mans. "Les banques sont des intermédiaires sur le marché de l'argent mais également sur le marché du risque."

Depuis la fin des années 1990, on assiste une intégration du risque dans le produit bancaire de base : le prêt. Ce n'était pas le cas auparavant

Myriam Roussille, professeur de droit

à franceinfo

Dans ce contexte, et particulièrement en 2007, quand BNP Paribas-Personal Finance connaît des difficultés et se trouve au bord de la liquidation judiciaire, la filiale est au fond encouragée à créer Helvet Immo.

Vaine tentative d'une lanceuse d'alerte

Une chargée de clientèle BNP à Paris tente alors d'alerter sur ce prêt toxique. Au moment où la BNP la consulte sur Helvet Immo, Nathalie Chevalier demande des  "crash test", c'est-à-dire une liste de scénarios possibles en cas de variation du taux de change. "Nathalie Chevalier s'est aperçue qu'une petite variation de parité entre l'euro et le franc suisse entraînait des effets délétères sur l'augmentation du capital restant dû", rapporte son avocate.

Elle en a informé ses trois supérieurs hiérarchiques. On lui a expliqué qu'elle n'était rien pour s'autoriser une telle mise en garde

Me Anne-Valérie Benoît, avocate de Nathalie Chevalier

à franceinfo

Selon Me Stéphane Szames, défenseur des emprunteurs, ce produit aurait été sciemment conçu pour être mal compris :"Lorsque les cadres ont lu cette offre de prêt, on leur a demandé s'ils avaient compris. La plupart ont répondu 'non'. Le responsable en charge de cette cellule a alors dit que c'était parfait. C'est édifiant, ça en dit long sur la carence de la banque dans la sincérité, le devoir d'information vis-à-vis de son client."

 

Informations et arguments de vente du prêt Helvet Immo à l'attention des conseillers.  (TOUS DROITS RÉSERVÉS)

Une mise en examen pour "pratique commerciale trompeuse"

En 2008, la banque Dexia propose déjà ce type de produits à des communes, des départements, régions et des hôpitaux, se souvient Patrick Saurin, retraité du groupe BPCE (banque populaire caisse d’épargne), en charge à l'époque des collectivités publiques. "Au moment de sa faillite en 2012, Dexia avait 223 sortes de crédits différents. À chaque fois qu'ils voyaient une niche qui leur permettait de réaliser des marges supplémentaires, ils concevaient un nouveau produit pour les collectivités. Ils invitaient les gens au restaurant pour avoir des retombées de nouveaux emprunts qu'ils allaient ensuite proposer."

Comme pour Helvet Immo, ce prêt se révèle incompréhensible par les conseillers. Les clients finissent par demander des explications. Il semble que dans un premier temps, la banque a cherché à identifier les clients susceptibles de la poursuivre en justice, afin de leur proposer une solution. C'est ce que qu'a raconté Nathalie Chevallier, alors chargée de clientèle à l’agence BNP de la Place de l’étoile, à Paris, à la justice.

Extrait du procès-verbal de Nathalie Chevallier. (TOUS DROITS RÉSERVÉS)

Mais cette stratégie ne fonctionnera pas. Les premières plaintes au pénal tomberont en 2011 et seront de plus en plus nombreuses en 2015. La même année, la filiale de BNP Paribas est mise en examen en tant que personne morale pour "pratique commerciale trompeuse". Elle devrait comparaître devant le tribunal correctionnel, si le juge suit le parquet qui a d’ores et déjà requis son renvoi.

Déjà plusieurs interventions du législateur contre les abus bancaires

Ce ne sera pas la première fois que BNP Paribas aura des comptes à rendre : la banque a déjà été condamnée pour un produit d’épargne baptisé Jet 3, qui promettait le triplement de la mise de départ. D’autres banques ont aussi eu affaire à la justice pour avoir vendu des produits de ce type. Hélène Ferron-Poloni, qui s’est spécialisée dans la défense des épargnants, revient sur un autre produit toxique, Doubl'Ô Monde, commercialisé par les Caisses d'épargne. "Il promettait le doublement du capital au bout de six ans. Mais au bout de six ans, les clients ont retrouvé moins que le capital investi." 

Les premières condamnations prononcées à l'encontre d'établissements bancaires au niveau pénal, l'ont été à propos de produits structurés

Hélène Ferron-Poloni, spécialiste dans la défense des épargnants

à franceinfo

Deux autres banques ont proposé des prêts indexés sur le franc suisse pour les particuliers, comme Helvet Immo : le Crédit Mutuel, qui en a vendu peu, et le Crédit Agricole, sous une formule différente. Me Arnaud Métayer-Mathieu a plaidé avec succès contre le Crédit Agricole de Lorraine. Il raconte : "Quand j'ai interrogé mes clients, je me suis rendu compte qu'il y avait eu du démarchage illicite quasiment systématique de la banque. Des conseillers en gestion de patrimoine étaient rémunérés par la banque à chaque crédit qu'ils faisaient souscrire. Il y avait des déplacements pour surprendre le consentement au domicile, au travail ou dans des hôtels."

Le Crédit Agricole a également été condamné pour avoir mis en concurrence deux monnaies, ce qui n’est pas légal. Le produit était effectivement adossé sur le franc suisse. Mais il existe une subtilité. "C'est un prêt en devises, mais également remboursable en devises. La cour d'appel de Metz vient donc de décider que c'est un prêt en monnaie étrangère, explique Myriam Roussille, professeur de droit bancaire. Alors que c'est un prêt interne qui implique deux parties françaises, il repose sur la monnaie étrangère, ce qui porte atteinte à l'ordre public monétaire français, car en France, c'est une règle importante, la monnaie de paiement, c'est l'euro." Quant à Helvet Immo, il était également remboursable en euro, ce qui devrait être débattu au procès.

En mars 2013, le législateur a amendé la loi sur la séparation et la régulation des activités bancaires. Elle avait été promise par François Hollande comme pour tirer les enseignements de la crise financière. Députés et sénateurs y ont introduit un amendement : il est désormais interdit de proposer ce type de prêts.

Franceinfo a contacté BNP Paribas, sa filiale BNP Paribas - Personal Finance, ainsi que leurs avocats. Personne n’a souhaité répondre à nos questions.

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