Maintien de l'ordre : "Il y a effectivement des images absolument choquantes", estime la Défenseure des droits
"Il y a effectivement des images absolument choquantes", a estimé mardi 4 avril sur franceinfo Claire Hédon, la Défenseure des droits, qui a reçu 90 saisines depuis le début de la mobilisation contre la réforme des retraites. Ces saisines concernent des personnes se disant victimes ou témoins de violences de la part des forces de l'ordre, de privation de liberté dans les nasses ou d'interpellations suivies de gardes à vue.
"Dans ces 90 réclamations, 80 sont [arrivées] depuis moins de quinze jours", a-t-elle souligné. Par ailleurs, la Défenseure des droits s'est autosaisie de quatre situations, dont les deux blessés graves à Sainte-Soline lors des manifestations dans les Deux-Sèvres. Claire Hédon s'est dite "consciente des difficultés auxquelles sont confrontées les forces de l'ordre", mais elle a rappelé que la force doit être utilisée "de façon nécessaire et proportionnée". Selon elle, "le respect de cette déontologie crée la confiance" envers les forces de l'ordre.
franceinfo : Quelle est la nature des plaintes que vous avez reçues ?
Claire Hédon : Tout d’abord, je condamne tout acte de violence. J'ai une pensée pour les blessés chez les manifestants et les forces de l'ordre. L'institution du Défenseur des droits est l'organe de contrôle externe de la déontologie des forces de sécurité. La loi ne nous dit pas qu'on doit contrôler les manifestants. Donc, on ne fait qu'appliquer la loi. Mais je condamne tout acte de violence et je le redis, nous sommes le contrôle externe de la déontologie des forces de sécurité. Je voudrais insister sur le fait que ce contrôle, il se fait d'abord par les pairs, puis par la hiérarchie, puis l'IGPN (Inspection générale de la police nationale) et l’IGGN (Inspection générale de la gendarmerie nationale).
Nous arrivons derrière en tant que contrôle externe. C'est indispensable. Pourquoi il y a un contrôle ? Parce que les forces de l'ordre, comme leur nom l'indique, ont l'usage de la force quand c'est nécessaire et proportionné. Dans une démocratie, il est parfaitement normal que l’on contrôle cette nécessité et cette proportionnalité. Il y a la question de la liberté de manifester. C'est un droit fondamental dans une démocratie. L'objectif du maintien de l'ordre est de préserver cette liberté, de manifester et de préserver l'intégrité physique à la fois des manifestants et des forces de l’ordre. 90 réclamations sont arrivées depuis le début des manifestations contre les retraites. Dans ces 90 réclamations, 80 sont depuis moins de quinze jours.
Il y a clairement une accélération depuis l'utilisation du 49.3 ?
Il n'y a absolument pas de doute. On est saisi de situations de personnes qui se plaignent de violences, de personnes qui se plaignent d'atteintes à la liberté, qui sont dans des nasses. Quand les forces de l’ordre empêchent de sortir. Le Conseil d'État avait dit qu'il fallait prévoir justement une sortie. Certains se plaignent du fait qu'il n'y avait même pas de sortie. D'autres se plaignent d'interpellations avec des gardes à vue qu'ils considèrent comme arbitraires. Le syndicat national du journalisme (SNJ) nous a saisis sur la question des violences commises contre des journalistes, mais aussi de la façon dont ils sont parfois empêchés de travailler. Nous allons enquêter. Nous menons des enquêtes impartiales en contradictoire. J'ai déjà envoyé un certain nombre de courriers : au préfet de police de Paris, au directeur général de la police nationale, à des maires pour des conservations de vidéos.
Combien de réclamations concernent la Brav-M dont les méthodes sont contestées ?
On en a plusieurs effectivement qui concernent la Brav-M. Nous allons enquêter. Ce qui est important de comprendre, c’est qu'on ne va pas simplement s'intéresser à l'acte lui-même, mais aussi à la façon dont les forces de l'ordre ont été formées, ont été encadrées à ce moment-là. C'est vraiment notre force d'aller regarder ce qui se passe autour. Quel est l'intérêt en fait de notre travail ? C'est vraiment que les actes ne se renouvellent pas quand il y a eu un usage disproportionné de la force, quand il y a eu des insultes. Qu'est-ce qui a permis ça et comment faire pour que ça ne se renouvelle pas ? Sur la Brav-M, il va falloir s'intéresser effectivement à la question de la formation et de l'encadrement.
Depuis 2014, le numéro d’identification RIO est obligatoire pour les policiers et les gendarmes. Est-ce qu'aujourd'hui en France, tout le monde le porte ?
Non, vous le voyez bien sur les images. La majorité, évidemment, le porte. Le schéma de maintien de l'ordre est très clair. C'est ce que nous avions effectivement préconisé à la suite des "gilets jaunes". On a rendu une décision-cadre : il faut absolument que ces policiers soient identifiables. Je vais vous raconter une histoire très précise à mon arrivée dans l'institution. Un jeune mis à terre est maîtrisé. Ça veut dire qu'il ne faut plus utiliser la force. On voit un policier continuer à lui taper dessus. Ce policier cagoulé, casqué n'est pas identifiable, n'a pas de RIO visible.
On n'a pas réussi à savoir qui c'était dans notre enquête. Les policiers qui sont autour disent qu'ils ne savent pas qui il est. Or, on le voit à un moment parler avec des policiers. Il n'est pas identifiable. On n'a pas pu demander de sanction contre lui. On a quand même demandé du coup des sanctions contre les policiers qui sont censés savoir avec qui ils sont. Ce RIO visible c'est ça aussi qui donne confiance dans nos forces de l'ordre. Nous sommes là pour rétablir la confiance. Quand il y a des faits qui sont inadmissibles de la part des forces de l'ordre. Il faut qu'il y ait une condamnation et des sanctions.
Y a-t-il une forme de radicalisation des deux côtés ?
Je suis consciente surtout des difficultés auxquelles sont confrontées les forces de l'ordre et parfois au péril et au risque de leur vie. On est dans une démocratie. C'est vrai que les forces de l'ordre, comme leur nom l'indique d'ailleurs, sont aussi gardiennes de la paix, peuvent utiliser la force, mais de façon nécessaire et proportionnée. Il y a un moment où on peut utiliser de la force, mais une fois que la personne est maîtrisée, il n'y a plus usage de la force. C’est ça la déontologie des forces de sécurité. Cette déontologie et le respect de cette déontologie, c'est ça qui crée la confiance, c'est ça qui crée une démocratie.
Le préfet de police de Paris vous a invitée demain jeudi dans le centre de commandement qui supervise les forces de l'ordre lors de la manifestation parisienne contre la réforme des retraites. Vous irez ?
Oui, bien sûr. Les équipes sont déjà allées dans cette salle de commandement. C'est tout à fait normal. Ça va être un des éléments des enquêtes que nous sommes en train de mener. Tout le reste, ça va être les enquêtes en contradictoire, en interrogeant les personnes.
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