Manifestations contre la réforme des retraites : au tribunal, le fragile dossier de Thomas, qui dénonce une "arrestation politique"
"Je vais être extrêmement rapide." La présidente de la 23e chambre du tribunal correctionnel de Paris ne cache pas son agacement. Entre deux dossiers de revente de crack et une conduite sans permis avec refus d'obtempérer, elle doit juger, mercredi 22 mars, un jeune homme de 25 ans interpellé lundi "à 22h50" place de la Bastille, à Paris, en marge de la manifestation contre la réforme des retraites. Après 48 heures de garde à vue, Thomas* fait partie des comparutions immédiates du jour.
"Vous avez été interpellé après avoir été vu en train de construire une barricade et d'y mettre le feu à l'angle de la rue Saint-Sabin et de la rue du Chemin-Vert", lit la magistrate, le nez dans ses feuilles. Selon la "fiche d'interpellation", les policiers l'ont reconnu grâce à son jogging rouge à bandes blanches, qu'il porte toujours dans le box.
Huit mois de prison avec sursis requis
Le prévenu a refusé de s'exprimer en garde à vue. A l'audience, ce jeune homme brun aux cheveux courts donne sa version des faits : "Je nie avoir mis le feu à une barricade. La manifestation a duré assez longtemps, je pense avoir été repéré plusieurs fois avec ce pantalon", répond-il. Selon son récit, il a été arrêté alors qu'il traversait "un passage piéton pour rentrer chez lui".
La présidente aborde sa personnalité au pas de course. Originaire de Grenoble, Thomas est "couvreur depuis deux ans", gagne "2 300 euros par mois" et vit en "sous-location" chez "une collègue". Il a été condamné à un stage de citoyenneté et une amende avec sursis en mars 2021 pour des faits similaires, commis en avril 2018.
Place maintenant au réquisitoire. "On a le droit d'exprimer ses opinions, de n'être pas d'accord, mais on n'a pas le droit de commettre des infractions", attaque la procureure. Pour l'accusation, "cette infraction est parfaitement caractérisée", sur la foi des déclarations de "l'agent interpellateur". "C'est monsieur qui était en train de construire la barricade et d'y mettre le feu. On ne l'a pas interpellé à l'autre bout de Paris, mais tout proche et sa tenue vestimentaire a permis de le reconnaître", développe la magistrate, requérant huit mois de prison avec sursis, "une peine d'avertissement".
"La société ne peut pas tolérer qu'on mette en danger des personnes. Ces feux pouvaient atteindre des bâtiments, du mobilier urbain."
La procureurelors de son réquisitoire
L'avocate de la défense, elle, plaide "la relaxe". Selon Marie Weessa, "le seul élément dans ce dossier" repose sur la déclaration d'un policier. "Il n'y a aucun élément contradictoire, c'est le flou le plus total", poursuit-elle. Quant à "ce jogging rouge", il n'apparaît pas sur les images de vidéosurveillance exploitées dans cette affaire. Et le briquet retrouvé sur son client ? "Monsieur fume et en a besoin dans le cadre de son travail", rétorque l'avocate. Le soir des faits, "il n'a pas de gants, pas de casque, pas de trace de brûlure, ne se cache pas le visage… Il n'y a rien pour entrer en voie de condamnation !", martèle la pénaliste, dénonçant un "contexte où les interpellations sont instrumentalisées".
"Ici, ce n'est pas une tribune politique"
Et Marie Weessa d'ajouter à l'adresse du tribunal : "Vous devez juger des citoyens qui descendent dans la rue et qui exercent leur droit le plus fondamental. Même des gens qui descendent faire leur footing sont [interpellés], et on fait le tri ensuite." Son client reprend la parole, une dernière fois.
"Malgré la répression, on continuera à se mobiliser contre cette réforme et le gouvernement. J'ai l'impression que mon arrestation est politique."
Thomas*, prévenudevant le tribunal
La présidente le reprend de volée : "Ici, nous sommes dans un tribunal correctionnel qui juge des délits, ce n'est pas une tribune politique." Après une suspension d'audience, Thomas est relaxé, faute de preuves suffisantes. Les cinq autres dossiers "manifestations" du jour sont renvoyés à une date ultérieure.
* Le prénom a été modifié.
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