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Reportage A l'incinérateur d'Issy-les-Moulineaux, les grévistes estiment qu'Emmanuel Macron "vient de remettre de l'huile sur le feu"

Article rédigé par Marine Cardot
France Télévisions
Publié
Temps de lecture : 5min
Les grévistes de l'incinérateur d'Issy-les-Moulineaux (Hauts-de-Seine), le 22 mars 2023. (MARINE CARDOT / FRANCEINFO)
Franceinfo a regardé l'interview du président de la République avec ces salariés en grève reconductible depuis le 7 mars, soutenus ce jour-là par le député insoumis François Ruffin.

Les visages sont tantôt fermés, tantôt railleurs. Sous le chapiteau rouge de la CGT, tous observent Emmanuel Macron sur grand écran. Le député insoumis François Ruffin, venu sur le site de l'incinérateur d'Issy-les-Moulineaux (Hauts-de-Seine) pour l'occasion, prend des notes. Seul un syndicaliste, provocateur, tourne ostensiblement le dos aux images du président. Pendant que le chef de l'Etat, invité du journal de 13 heures de France 2 et TF1, mercredi 22 mars, répond aux questions, les commentaires fusent. "Tu veux qu'on t'explique dans quel monde on vit ?", réagit un gréviste. "Il a oublié qu'après le deuxième tour, il a dit 'ce vote m'oblige' mais ça c'était avant", regrette un autre. Lorsqu'Emmanuel Macron demande "Est-ce que vous pensez que ça me fait plaisir de faire cette réforme ?", tous répondent d'une seule voix "Oui !"

"Il est en train de diviser le pays"

En grève reconductible depuis le 7 mars, ces salariés regardent l'interview du président, mais au fond, ils n'espèrent plus rien. A l'antenne, Emmanuel Macron dit vouloir "réengager" un dialogue avec les partenaires sociaux sur les conditions de travail. "C'est pas demain la veille", lui répond-on à Issy-les-Moulineaux. Les yeux rivés sur le visage du chef de l'Etat, Simon Franco Ramos est déçu par le ton employé.

"C'est un simulacre de pédagogie, on n'est pas en maternelle... Parler à des enfants, c'est bien, mais on est des citoyens."

Simon Franco Ramos, 40 ans, gréviste

à franceinfo

Ce salarié d'EDF, venu montrer son soutien aux salariés de l'incinérateur, est inquiet. "Je suis convaincu qu'Emmanuel Macron est en train d'enterrer la démocratie", assène-t-il, cheveux mi-longs et pommettes saillantes. "Au bout d'un moment, on ne pourra plus vivre ensemble. Il est en train de diviser le pays." Lorsque le président évoque le Parlement, Simon Franco Ramos envoie une boutade à François Ruffin : "Monsieur le député, vous avez entendu, vous ne servez à rien !" 

Le député insoumis François Ruffin et les grévistes de l'incinérateur d'Issy-les-Moulineaux (Hauts-de-Seine), le 22 mars 2023. (MARINE CARDOT / FRANCEINFO)

Alors que le président estime qu'il faut "assumer les choix fiscaux" qui ont été faits, Emmanuel Macron est accusé d'être "le porte-parole du Medef". Au bout de cinq minutes, Philippe Gireaud s'éloigne du petit groupe, "écœuré". "J'ai écouté jusqu'au moment où il a dit que les syndicats avaient le droit de parler. C'est n'importe quoi, quand il nous reçoit, il présente sa réforme, on a le droit de rien dire", regrette l'élu du CSE du site d'Issy.

"C'est bien la seule bonne nouvelle"

Depuis l'utilisation de l'article 49.3 par Elisabeth Borne pour adopter le texte, tous l'assurent, ils sont encore plus remontés qu'avant. "Il parle de victoire, mais faire passer une réforme sans vote, je n'appelle pas ça un succès", estime Christian Chaumette, gréviste et élu syndical. Alain Auvinet, cheveux blancs et fine moustache, dénonce "cette manière d'avoir imposé la réforme, sans oser aller au vote". Depuis 35 ans, l'agent de maîtrise dans l'incinérateur travaille aux 3x8. En raison de la pénibilité de son métier, il aurait dû partir à la retraite au 1er avril 2025, à 57 ans.

"Mais avec la réforme, je me prends deux ans de plus, sauf que j'ai le corps qui me lâche, c'est une usure permanente. A 55 ans, on est l'équivalent d'un homme de 65 ans."

Alain Auvinet, agent de maîtrise

à franceinfo

Alain Auvinet, agent de maîtrise à l'incinérateur d'Issy-les-Moulineaux, devra partir à la retraite deux ans plus tard à cause de la réforme. (MARINE CARDOT / FRANCEINFO)

Dans l'auditoire, certains commencent à souffler. Même François Ruffin y va de sa petite remarque alors qu'Emmanuel Macron rappelle qu'il ne sera pas réélu. "C'est bien la seule bonne nouvelle de la journée", lui répond le député de La France insoumise. Sans surprise, l'élu de la Somme estime que le chef de l'Etat n'a pas apporté de réponse à la contestation.

"Personne ne veut de cette réforme et le président de la République, en apesanteur, vient nous faire un discours de politique général."

François Ruffin, député de La France insoumise

à franceinfo

"Quand on a une alliance François Ruffin-Charles de Courson-Lena Situations, c'est qu'il y a quelque chose qui se passe dans le pays !", poursuit-il, en référence au député centriste à l'origine de la motion de censure transpartisane et à la youtubeuse, qui ont tous les deux dénoncé l'utilisation du 49.3, comme le rapporte Libération. A la seconde où l'interview du chef de l'Etat se termine, les grévistes entonnent une de leur chanson. "Et on ira... Et on ira... Et on ira jusqu'au retrait !"

"Tout le monde est prêt à dégoupiller"

Loin d'avoir calmé ces opposants, l'intervention du chef de l'Etat au journal de la mi-journée a même échauffé les esprits. "Là, il vient de remettre de l'huile sur le feu", réagit Frédéric Probel. Pour le secrétaire général de la CGT Energie à Bagneux, c'est la goutte d'eau de trop.

"C'est presque de la provoc, il voudrait qu'on casse tout, mais on ne va rien casser. Par contre, lui et son gouvernement, ils vont avoir mal, ils vont se rendre compte de qui sont les invisibles."

Frédéric Probel, secrétaire général de la CGT Energie à Bagneux

à franceinfo

Les syndicats appellent en effet à une nouvelle journée de mobilisation contre la réforme des retraites jeudi 23 mars. "La seule force qui va compter demain, ce sera la force du nombre", assure de son côté François Ruffin. Mais tous semblent déterminés à aller jusqu'au retrait de la réforme, quoi qu'il en coûte. Et certains mettent en garde le gouvernement : "On va entrer en résistance, tout le monde est prêt à dégoupiller, faites attention, arrêtez", menace un gréviste. Pourtant, "une petite annonce" suffirait pour que tout rentre dans l'ordre, promet le syndicaliste Philippe Gireaud. "Si le président retire la réforme, en une heure, on est dans les camions et il n'y a plus de poubelles dans les rues de Paris."

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